Quand je pense à Fernande, le festival de la chanson française, se déroulera du 13 au 17 juin dans la ville de Georges Brassens. Cette édition se situe à convergence des anniversaires : célébrations du trentenaire de la disparition de Brassens et 10 ans du festival. Elle accueillera à cette occasion un casting prestigieux, d'Arthur H à Catherine Ringer.

L’hommage à Brassens, fil conducteur de l’évènement, placera la barre haute dans cette joute estivale où grands noms et nouveaux venus rivaliseront d'inventivité et incarneront, chacun à leur manière, les multiples facettes de Brassens. Tous fêteront le père spirituel de la chanson française, celui dont les talents de parolier, et de musicien, ont tracé les contours d’un genre hybride, à la fois musique, poésie, et discours.

La présence des grands représentants actuels permettra aux nouveaux venus de faire les premières parties. « Place aux jeunes », s’exclamait Brassens dans Supplique pour être enterré sur une plage de Sète. Dans cette chanson, il imaginait sa mort prochaine et se souciait du manque de place dans le tombeau familial... Mais sa parole sonnera bel et bien comme la devise du festival, qui conduira les deux lauréats de la nouvelle génération à se produire à la Flèche d’Or, à Paris. L’évènement voit en effet depuis 10 ans la scène du Théâtre de la Mer investie des nouveaux talents, à côté des artistes les plus chevronnés. Ce coup de projecteur sur le renouveau du genre s'accompagne d'une promotion régionale, le festival soutenant chaque année un groupe régional, Zoufris Maracas pour cette édition 2012 (concert le 15 juin).

Une jeunesse qui sera très précoce, cette année, avec Izia, 21 ans, qui publie déjà son deuxième album. Deux ans après un premier disque enregistré dans les conditions du live, la fille de Jacques Higelin revient sur le devant de la scène avec So Much Trouble, collection de chansons à nouveau écrites avec son acolyte Sébastien Hoog. On pardonnera à la « Révélation Scène » des Victoires de la Musique 2010 d’être trop rock pour chanter en Français...

Son langage sans détours pourra toutefois rappeler le vocabulaire cru de Brassens, lequel n'était pas sans choquer. Malgré son succès fulgurant, cela lui avait valu l’interdiction de la diffusion de ses chansons à la radio jusqu’à 1955, avec la création d’Europe 1 qui lui permet enfin de passer sur les ondes. Un autre temps... Ses héritiers lui seront gré de son audace. Ainsi Maxime Le Forestier ne séparait-t-il pas l'irrévérence de Brassens de la profondeur de ses paroles (« Il n'y a pas de gros mots chez Brassens, il y a de grosses idées »). Plus encore, Juliette Gréco y voyait quelque chose de civilisateur, une éducation de l’auditeur, distillée au fil des chansons : « Ils nous a rendus tous meilleurs, moins bêtes, moins couards ». Le guitariste virtuose Sanseverino, en concert le 15 juin, ne l'a pas oublié. Ses paroles se soucient peu de morale, et le récit des petits tracas de la vie quotidienne n'empêche pas la critique sociale d'affleurer. Le 14 juin, l'intimiste Grande Sophie, auréolée du succès de son dernier album, La place du fantôme livrera elle aussi son univers. Un peu plus tard, Thomas Dutronc (17 juin) nous fera partager ses états d'âmes de trentenaire, dans un registre plus mêlé, entre angoisse du temps qui passe et ivresse de la jeunesse. Son dernier albumSilence on tourne, on tourne en rond sonnait comme un hymne au "Copains d'abord".

Les autres têtes d’affiche du festival prendront eux congé du quotidien, et partiront à la recherche de nouveaux espaces-temps. En particulier, la poésie pure d'Arthur H et les métissages musicaux de Laurent Voulzy placeront le festival sous le signe de l'évasion.

Brassens avait fait le choix du minimalisme dans l’accompagnement de ses chansons. Guitare et contrebasse permettaient à l’harmonie de l’épanouir, sans toutefois prendre le dessus sur des paroles extrêmement denses. Le choix du dépouillement de l'accompagnement -qui pouvait donner, à tort, une impression de monotonie- était lié à l'exigence du texte.

Arthur H, dont le concert se déroulera le samedi 16 juin, fera face au même défi : quel choix musical pour un texte aussi compact? Il a ainsi apporté un soin tout particulier à l’instrumentalisation de son nouvel album, L’Or Noir. Les collages sonores, suggérés par son collaborateur Nicolas Repac, évoquent des paysages d'Afrique. Ils mettent en musique les textes des poètes de la « négritude » que profère Arthur H. Ce concept -c’est assez peu courant pour le signaler- est gros de futurs albums. Sûr de son art, Arthur H ne recule pas devant les difficultés puisque le prochain sur la liste est... l'hermétique René Char ! Le projet tient-il de la gageure? Sans doute pas, à en juger l'adresse avec laquelle le classieux Arthur H fait vivre, avec sa griffe inimitable, la poésie africaine, d'Aimé Césaire (Cahier d'un retour au pays natal) à Léopold Senghor (Chants d'ombre).

La même sophistication caractérise le dernier album de Laurent Voulzy, qui inaugurera le festival le 13 juin, avant de s’envoler pour le festival de Saint-Denis, où il incarnera l'axe « Métis » du festival. Dans Lys & Love, qui vient mettre un terme à 10 ans d’attente, Voulzy entre de plein pied dans l’électro et orne ses mélodies de textures travaillées. Dans un mélange des styles qui fait l’originalité du chanteur-parolier, il associe son univers médiéval à une pop toute anglaise. Cette source d'inspiration n’a jamais quitté celui qui, encore enfant, se délectait du Roman de la Rose. Dans sa chanson Jeanne, l’amour courtois s’accommode ainsi d’un accompagnement brit pop.

La vie de Brassens a été jalonnée d’épisodes plus ou moins glorieux. On pense au déshonneur qu’il fait peser sur sa famille après l’"épisode du vol". L’adolescent couvert de honte est alors envoyé à Paris pour se faire oublier et apaiser le courroux de sa ville natale en émoi. « Je suis de la mauvaise herbe » (…) je pousse en liberté dans les jardins mal fréquentés », chantait-il avant d’évoquer les « quatre bacheliers sans vergogne… trahis par [leur] gendarmes ». La chanson de Catherine Ringer (en concert le 16 juin) raisonne elle aussi de ses « expériences de jeunesse » qui lui avaient valu les sarcasmes de Gainsbourg. Le vécu et les expériences fortes, comme chez Brassens, confèrent à sa musique une profondeur peu commune. Son dernier album, Ring n’roll avait été sélectionné dans la « best new music » du magazine américain Pitchfork - une distinction de taille qui témoigne de la faculté d'exportation de la chanson française.

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