C'est à une débauche de couleurs et à un véritable feu d'artifice sonore que nous convient René Martin et ses équipes cette année à Nantes. Un grand coup d'air frais avec un programme labellisé "made in France" si cher à un de nos ministres actuels. Un très grand nombre d'artistes fidèles et nouveaux vont se succéder au gré d'une programmation assez audacieuse, proposant un vaste panorama de la musique française et espagnole de 1850 à 1960, de Georges Bizet... à Pierre Boulez dont on jouera, entre autres, Le Marteau sans maître qui fera ainsi son entrée dans une des manifestations musicales les plus populaires de notre pays, au sens noble du terme.

Bien sûr la programmation, et c'est bien normal, fera la part belle à Debussy, Ravel, de Falla, Bizet, Poulenc, mais on pourra aussi faire de belles découvertes à Nantes en ce froid mois de février. Parmi bien des perles, j'ai relevé Le Miroir de Jésus d'André Caplet, L'Eventail de Jeanne, œuvre collective réunissant dix compositeurs des années vingt ainsi que Les Mariés de la Tour Eiffel, ballet collectif du Groupe des Six (moins Louis Duret) sur un argument absurde de Jean Cocteau, prétexte à toutes sortes de jeux de mots et de situations extravagantes. Des jeux de mots lestes il y en aura aussi dans la succulente Heure Espagnole de Maurice Ravel sur un livret de Franc Nohain, très d'union entre la France et l'Espagne qui symbolise magnifiquement la thématique abordée cette année. Dans le même ordre d'idée, on pourra entendre à plusieurs reprises, évidemment, l'inénarrable España du si cher Emmanuel Chabrier, ainsi que sa Habanera. Les compositeurs espagnols seront aussi omniprésents avec Manuel de Falla en tête, mais aussi Albéniz, Granados, Rodrigoet Turina.

Les esprits curieux seront heureux de découvrir Dionysiaques que Florent Schmitt écrivit pour la Garde Républicaine ou Praxinoé, légende lyrique pour soli, chœur et orchestre de Louis Vierne. Une autre rareté, La Boîte à joujoux, ballet que Debussy écrivit pour un théâtre de marionnettes à la fin de sa vie et qui fut orchestré par André Caplet. L’intrigue ? - lança Debussy à un journaliste venu l'interroger - Oh ! très simple : un militaire de carton aime une poupée ; il tâche de le lui démontrer ; mais la belle le trompe avec un polichinelle. Vous voyez que c’est d’une simplicité…enfantine ! Seulement, pour rendre ça au théâtre !

Impossible d'énumérer ici toutes les oeuvres et tous les artistes présents durant cette Folle Journée, car la liste est impressionnante. Je vous renvoie à la programmation complète, telle qu'on peut la trouver sur la Toile. Il y a bien sûr les artistes "maison" : Anne Queffélec en tête dont MIRARE publie le "Disque officiel de la Folle Journée", le Quatuor Modigliani, Michel Corboz (qui dirigera à plusieurs reprises le Requiem de Fauré dont il a réalisé trois enregistrements), Jean-François Neuburger dont on entendra même une création mondiale, puisque à ses talents de pianiste et de professeur il ajoute également celui de compositeur, le pianiste Boris Berezovsky, le Trio Wanderer et tant d'autres. Mais il y aura aussi la fine fleur du piano français, de prestigieux guitaristes pour le cycle "Les Espagnols de Paris" ainsi que de nombreux chefs et chambristes.

Quant aux compositeurs, ils seront légion, des plus connus aux plus confidentiels, Gouvy, Alkan, Pierné, Koechlin, Chabrier, Satie, Messiaen, Dutilleux, Saint-Saëns, Franck, Dukas, Roussel, Milhaud, d'Indy, Chausson, Ibert, Magnard, Caplet, Tomasi, Mel Bonis, Lili Boulanger, Duparc, Cras ou Durosoir. Ils sont tous sur Qobuz pour pouvoir vous préparer à ce grand rendez-vous annuel.

Un beau panorama où manque cependant, inexplicablement, la figure d'Arthur Honegger, musicien fécond, membre du Groupe des Six, auteur de cinq remarquables symphonies, de quatuors, d'oratorios et qui fut un des compositeurs les plus joués précisément à l'époque de cet âge d'or dont parle René Martin dans son long texte introductif. On aurait pu penser aussi au délicieux Henri Sauguet, dont le beau ballet, Les Forains, a obtenu un si grand succès et qui a servi de tremplin à Roland Petit. On est tout aussi frappé par l'absence de musique symphonique d'un compositeur systématiquement ignoré, Albéric Magnard, mort de manière héroïque en 1914, au début de la guerre. Et pourtant son vigoureux Hymne à la Justice, composé pour soutenir le Capitaine Dreyfus (première œuvre jouée à la Libération par l'Orchestre National) ou ses Troisième et Quatrième Symphonies ne dépareraient certes pas le répertoire de nos orchestres et auraient même pu constituer une sacrée découverte dans une manifestation d'une telle envergure.