Quatre nouveautés discographiques dont de belles raretés - l'opéra Scylla et Glaucus de Leclair, quatre décennies de musique pour violoncelle outre-Atlantique, le retour en fanfare de l'ophicléide vilipendé par Berlioz -, quelques adjonctions à la précieuse Discothèque idéale, Qobuz vous a encore concocté une semaine aux petits oignons

C’est surtout pour ses nombreuses œuvres consacrées à son instrument, le violon, que l'on se souvient de nos jours de Jean-Marie Leclair : sonates, duos, concertos, le tout dans un langage éclatant qui lui a valu le surnom de « Vivaldi français ». Par contre, il n’écrivit qu’un seul opéra,Scylla et Glaucus, créé en 1746 à l’Académie royale. Bien que le succès ne fût pas au rendez-vous à l'époque, voilà un chef-d'œuvre d'une richesse d’écriture déployant des trésors d’invention orchestrale et mélodique, l’un des plus phénoménaux opéras de son temps, profondément théâtral, toujours moderne, inclassable, un véritable sommet d’un grand maître. Une superbe découverte ! Une autre découverte, phonographique celle-là, est l'album des « débuts phonographiques », du violoncelliste britannique Jacob Shaw, qui a vraiment pris le temps de prendre le temps : la première note de Brahms a été enregistrée en 2009, la dernière en 2015, avec un intervalle de deux ans entre chacune des pièces maîtresses de l’album – lesdites pièces étant les deux Sonates de Brahms, avec le pianiste José Gallardo, et la Troisième et dernière des Suites de Britten pour violoncelle seul. L’ultime Britten, dépouillé, profondément émouvant, passionné même ; l’œuvre s’achève sur un emprunt à la liturgie russe, un chant pour les morts… En complément de programme, Jacob Shaw propose un petit tour du monde entre le Danemark – où il réside actuellement, une pièce de sa composition –, le monde judaïque de Bloch, la sphère persane avec un Sama soufi, la Catalogne de Casals avec son Cant dels ocells, et finalement la Chine ancienne représentée par une pièce pour violoncelle et ensemble traditionnel chinois.

Le violoncelliste Paul Watkins, une grande star outre-Manche qui a déjà enregistré un large pan du répertoire du XXe siècle : Elgar, Delius, Lutosławski, Britten, Bax, Martinů, dont une bonne partie avec son frère le pianiste Huw Watkins qui s’associe d’ailleurs dans ce nouvel enregistrement d'ouvrages états-uniens écrits entre 1932 et 1971. Certains sont des adaptations, mais des adaptations signées de leurs compositeurs eux-mêmes : les Trois méditations d’après Mass de Bernstein le furent pour Rostropovitch, Billy the Kid par Copland pour Piatigorsky. Les autres œuvres sont toutes des compositions originalement conçues pour violoncelle. On y découvrira un pan fort négligé de la création nord-américaine : le jeune Barber avec sa Sonate écrite quand il avait vingt-deux ans, le jeune Crumb qui à vingt-six ans rendait hommage à sa mère, Carter dont la Sonate de 1955 n’a pas encore abordé l’avant-gardisme – il s’y montre encore très empreint de tonalité. Un répertoire certes peu abordé par les musiciens Français et sur les scènes françaises, mais qui mérite très franchement le détour. Moins répandu que le violoncelle, c'est le moins que l'on puisse dire, c'est l'ophicléide : ce « serpent à clefs », (étymologiquement parlant) vécut approximativement de 1810 à 1880 ; à l’époque, il était le seul instrument de cuivre grave doté d’une certaine agilité – d’une immense agilité, en vérité, capable d’exécuter les traits les plus exigeants. Mais… mais… son volume sonore ne lui permit pas de continuer à jouer dans des orchestres toujours plus grands, toujours plus amples, de sorte qu’il fut supplanté par le tuba basse d’origine nord-allemande. En cette époque de recherche musicologique de l’authenticité sonore, il est grand temps de réhabiliter l’ophicléide pour ce qu’il est, un cuivre d’une grande douceur, d’une virtuosité ébouriffante, et c’est ce que fait avec brio l’ophicléidiste (?) Patrick Wibart et son Trio Ænea : ophicléide, cornet à piston, fortepiano, une rare combinaison. Cet ensemble nous offre une belle poignée d’œuvres typiques du XIXe siècle, à savoir des fantaisies d’après des airs d’opéras célèbres, ainsi qu’une très originale transcription du Trio pathétique de Glinka, initialement conçu pour clarinette, basson et piano, mais dont le traitement pour cornet, ophicléide et piano fait merveille. Découvrez l’ophicléide !

Rangez vos noisettes, voilà les casseurs

Noël approche, les Casse-noisette aussi. On parle bien évidemment du ballet Casse-noisette de Tchaïkovsky, en l'occurrence de sa version intégrale et pas de l’habituelle Suite, dans l'enregistrement qu’en réalisa Antal Doráti (1906 – 1988) qui n'était certes pas étranger au monde du ballet, puisqu’il dirigea les Ballets russes de Monte-Carlo de 1933 à 1941, puis du American Ballet Theatre pendant quelques années. C’est dire qu’il savait de quoi il parlait lorsqu’il abordait de telles partitions chorégraphiques, auxquelles il donnait toute leur vigueur dramatique tout autant que la richesse orchestrale. Le présent enregistrement de Casse-noisette fut réalisé en juillet 1962 avec le London Symphony Orchestra, celui de la Sérénade pour cordes qui complète l’album en juin 1958 avec le Philharmonia Hungarica dont Doráti fut Président honoraire. Les deux enregistrements, ils furent réalisés avec un matériel à la pointe de la technologie, la célèbre Mercury Living Presence, pour une sonorité magique de couleurs, de présence et de profondeur. Un véritable must tchaikovskien, que l'on n'hésite pas à verser dans la Discothèque idéale de Qobuz. Toujours Tchaikovsky, toujours la Discothèque idéale, ne manquez surtout pas le magique enregistrement réalisé en 1950 par le somptueux trio Rubinstein-Heifetz-Piatigorsky. On l'appelait fort peu charitablement "le Trio des dollars" : s'il est vrai que ces trois messieurs coûtaient leur pesant de noisettes, leur réputation était à l'époque semblable à celle des stars de Hollywood. Leur enregistrement du Trio de Tchaïkovsky est unique par le ton et la fermeté du discours musical, dans cette partition gorgée d'un romantisme trahique à fleur de peau où l'on peut à tout moment être submergé par l'emphase. Le sérieux du propos peut certes étonner, mais l'hommage de Tchaïkovsky à son cher ami Nikolaï Rubinstein prend dès lors une véritable couleur funèbre.

On finira ce petit tour des nouvelles additions à la Discothèque idéale par le compositeur finlandais Leevi Madetoja (1887-1947), élève puis rival musical de Sibelius, fit son entrée dans le monde musical dès 1909 avec une Élegie qui lui valut une immédiate célébrité. Ce n’est que plus tard qu’il séjourna à Paris, où il se familiarisa avec l’écriture à la française – d’Indy, Franck, Dukas, Debussy dans une moindre mesure – tandis qu’il intégrait également l’impérieux modèle straussien, tout en ne niant pas ses racines nordiques d’ailleurs plutôt inspirées par Nielsen que par Sibelius. Du côté de la Finlande, il absorba plus particulièrement la thématique musicale folklorique de sa région natale d’Ostrobotnie. Sa Première Symphonie de 1914-1916 lui valut les félicitations appuyées de Sibelius (qui lui reconnut « l’étoffe d’un symphoniste ») ; la voici, sous la baguette experte de Leif Segerstam, ardent défenseur de la musique nordique. En complément de programme, on pourra découvrir son poème symphonique Kullervo (pourquoi pas le comparer au Kullervo de Sibelius ? Fascinant exercice de parallélisme musical) et un large moment de son phénoménal ballet-pantomime Okon fuoko (« Le Magicien du rêve ») d’après un conte japonais. Madetoja, voilà bien le compositeur finlandais à ne manquer sous aucun prétexte, surtout si l’on n’aime pas trop Sibelius…