Bien des années avant les premiers "minimalistes", George Antheil écrivit dès 1954 un singulier opéra, The Brothers, dans lequel bien des aspects de cette tendance répétitive, obsessive, se trouvaient déjà. Certes, l'influence de Weill, de Satie, de Menotti aussi, ne manque pas de montrer le bout de son nez ; mais cette œuvre, basée sur l'épisode biblique de Cain et Abel, ne manquera pas de fasciner l'auditeur par son langage obstiné, irrésistible, lyrique et sincère. Et on peut espérer que dans le sillage de cet enregistrement signé CPO, quelques maisons d'opéra voudront bien dévier des sempiternels Verdi-Puccini-Wagner-Strauss-Mozart-Bellini-Donizetti pour offrir enfin ce morceau de choix aux spectateurs. Chez CPO encore, découvrez ce que nous conta Hoffmann... le vrai, Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, celui dont la vie romancée et quelques histoires inquiétantes servirent d'argument aux Contes d'Hoffmann d'Offenbach ; car en plus d'être romancier, juriste, fonctionnaire provincial, dessinateur, Hoffmann était compositeur ! Voici sa seule et unique symphonie, certes mozartienne en diable mais avec un petit je-ne-sais quoi de très personnel, témoignage de l'admiration évidente de Hoffmann pour Wolfgang Amadeus (à telle enseigne qu'il adopta l'un des prénoms de son idole), témoignage aussi que Hoffmann servit de modèle à bien des Romantiques par la suite.

CPO obstinément, qui a récemment publié la première discographique mondiale d'un opéra de Respighi, écrit en 1913, mais créé seulement... en 2004 : Marie Victoire. Pourquoi diable ce magnifique ouvrage n'a-t-il jamais été donné du vivant du compositeur ? Il semble que son épouse s'y soit quelque peu opposé, et puis Respighi ne faisait pas partie du sérail vériste qui, à cette époque en Italie, faisait la pluie et le beau temps. Sans compter que l'opéra est chanté en français, se déroule lors de la Révolution et le Directoire, que le compositeur y mêle sonorités de l'époque - chants révolutionnaires, pièces pour clavecin, chansons populaires françaises etc. - et musique respighienne en diable, de quoi la rendre inclassable. Découvrez sans tarder ce superbe ouvrage qui, lui aussi, attend que les scènes internationales le programment enfin. CPO encore et toujours, pour cet enregistrement des deux symphonies de Gounod - Gounod dont, au moins, l'on ne peut pas dire que les opéras ne sont pas représentés ! Mais ses symphonies, par contre, n'arrivent pas souvent aux programmes des grands orchestres... Dommage, car ce sont là deux bien belles pièces, toutes deux de 1855 - quatre ans avant Faust donc, mais Gounod s'amuse avec une éblouissante virtuosité à intégrer l'héritage de Haydn dans la première de Beethoven dans la seconde. En prime, Oleg Caetani et l'Orchestre de la Suisse Italienne nous proposent les deux seuls mouvements existants d'une troisième symphonie inachevée, ouvrage de la dernière maturité : 1890-92, une époque où le vieux maître n'avait plus rien à prouver à qui que ce soit. Un langage à la fois visionnaire et ultraclassique, fascinant, preuve que Gounod avançait avec son temps tout en gardant les pieds fermement ancrés dans la tradition. Quel dommage qu'il n'ait pas terminé ce testament symphonique...

Paris en 1916 ; Hahn ou Debussy sont-ils sur la photo ? une chance sur quarante millions environ...

Voici un enregistrement récent – 2014 – de la célèbre soprano finlandaise Soile Isokoski, dont la grande carrière débuta voici vingt ans à l’Opéra national de Finlande, avant de la mener sur les scènes mondiales les plus prestigieuses. Il représente une sorte de couronnement, car si Isokoski n’a plus rien à prouver discographiquement, du haut de ses dizaines d’enregistrements d’opéras du répertoire et de lieder de la sphère germanique et nordique, elle n’avait jamais encore abordé le monde si spécial de la mélodie orchestrale française. Les incontournables Nuits d'été de Berlioz et le Poème de l'amour et de la mer de Chausson sont complétés par trois mélodies de Duparc orchestrées par le compositeur lui-même. Et puisqu'on en est aux artistes qui n'ont plus rien à prouver ; le pianiste polonais Kryztian Zimerman, qui avait créé en 1988 le concerto pour piano de Lutosławski puis l'avait enregistré avec le compositeur à la baguette, l'a repris voici peu avec le Philharmonique de Berlin et Simon Rattle, une phalange et un chef habitués à ce répertoire - justement, le concerto est complété par la deuxième symphonie du même Lutosławski, enregistrée en concert tout récemment. Un soliste et un orchestre éblouissant pour une musique tourbillonante et brillante.

Reynaldo Hahn et Claude Debussy, voilà deux musiciens qui ne furent pas copains. Certes, la masse écrasante du génial novateur Debussy ne pouvait que faire de l’ombre à l’exquise et suave mélodie conservatrice de Hahn, mais ce n’est pas une raison pour le mépriser, car trop souvent on le juge sur des pièces résolument mondaines alors qu’il en a bien plus dans sa besace que ces petits péchés sociaux. Le duo Tal-Groethuysen (Yaara Tal et Andreas Groethuysen) s'est pris au jeu et alterne des œuvres pour piano à quatre mains ou pour deux pianos de l'un et de l'autre, toutes écrites aux alentours de la Première guerre mondiale ; dont le célèbre En blanc et en noir pour deux pianos de Debussy, de qui Saint-Saëns s’écria alors : « c’est invraisemblable, et il faut à tout prix barrer la porte de l’Institut à un monsieur capable d’atrocités pareilles ; c’est à mettre à côté des tableaux cubistes. » Il est vrai que le tendre Ruban dénoué de Hahn, écrit en "contrepoids" à ses expériences de guerre - lui qui passa longtemps dans les tranchées, tandis que Debussy, déjà très malade, n'avait pas pu participer à la guerre -, renoue plutôt avec la douceur de vivre parisienne, mais n'est-ce pas normal pour ce musicien rescapé des champs de la mort ? Et l'on finira la semaine de nouveautés avec une autre approche de la mort, celle de Brahms qui, en cette année 1894, écrivait ses deux ultimes œuvres de musique de chambre : les sonates pour clarinette et piano Op. 120, qu'il réécrivit bientôt lui-même pour alto et piano, avec d'infimes modifications pour s'adapter à l'instrument. Les deux versions sont donc originalement de Brahms. Dégustez-les sous les doigts de l’altiste bavarois Nils Mönkemeyer, chargé de prix internationaux dès sa prime jeunesse, qui nous en offre une vision crépusculaire et ample, en parfaite adéquation avec cette musique tardive dans laquelle Brahms a abandonné toute virtuosité à la faveur d’une ultime introspection. En complément de programme, même s’il n’avait nul besoin de prouver ses capacités virtuoses, Mönkemeyer a rajouté quatre Danses hongroises dont trois transcrites – avec infiniment d’humour, dans la veine tzigane – pour alto solo, piano et quatuor à cordes. Et la vie reprend finalement le dessus !