Absolute Jest de John Adams, créé en 2012 par l’Orchestre de San Francisco et le présent Michael Tilson Thomas, peut se traduire par "Bouffonnerie absolue" mais également par "Geste absolue", la geste et non point le geste, selon l'explication d'Adams lui-même qui joue sur l'ambivalence, même si en anglais l'orthographie n'est pas exactement la même (jest vs. gest). Et en effet, l'auditeur peut se demander s'il s'agit là de lard, de cochon, de poisson, de piment ou surtout de dynamite. Pendant quelque vingt minutes, Adams déroule un invraisemblable scherzo chargé d'une énergie folle, confié à l'orchestre certes, mais également à un quatuor à cordes solo (légèrement amplifié lorsque la salle l'exige, indique la partition) qui s'amuse – le jest en question – à reprendre et tordre dans tous les sens quelques inflexions des plus féroces quatuors de Beethoven. Autre révérence au grand Ludwig van, le rythme pointé obstiné qui caractérise le premier mouvement de la Septième symphonie mais également le scherzo de la Neuvième, auquel Adams emprunte d'ailleurs la signature de timbales. Cela dit, c'est plutôt du côté de Stravinsky qu'il faudrait concevoir les influences, parfaitement revendiquées par Adams, le Stravinsky de la Symphonie en trois mouvements ou de Pulcinella. Le parallèle s'arrête là, car si Stravinsky a emprunté à Pergolesi, Adams ne fait qu'évoquer Beethoven et lancer des clins d'œil amoureux en direction de l'absolu avant-gardisme de la musique de cet imposant modèle. L'audition de Absolute Jest donnerait quasiment une sensation de "musique carrée", alors que la partition d'Adams (consultable sur le site de l'éditeur Boosey and Hawkes) déborde de coins et de recoins rythmiques d'une complication du diable. Ensuite, ne vous étonnez pas si quelques passages "sonnent un peu faux" par moment. C'est que le compositeur exige que piano et harpe soient accordés selon le tempérament mésotonique, alors que les autres instruments jouent au diapason standard. Une forme de micro-intervalles qui, s'ils ne comportent pas cet aspect franchement dérangeant des quarts de ton, donnent une impression de fourmillement assez singulière – du piment dans la sauce, si vous voulez.

Beaucoup plus ancien, Grand Pianola Music de 1982, également créé par l’Orchestre de San Francisco, fait appel à deux pianos (en non pas des Pianolas, cette marque de pianos pneumatiques chers à la bonne société états-unienne du début du XXe siècle ; Adams joue ici sur la locution « Grand piano », qui signifie « piano à queue », à laquelle il rajoute le suffixe propre à la marque, histoire de brouiller les pistes et de donner une petite touche de facétie pseudo-mécanique), vents, trois voix de femmes chantant sans paroles, et percussion. Le compositeur y développe son monde personnel du minimalisme, qui n’a de minimaliste que le nom – assez trompeur. Car la partition explose dans tous les sens, les cellules ne cessent de se mouvoir, les ruptures viennent décontenancer l’auditeur sans lui laisser le temps de souffler. Lors de sa création, l’ouvrage valut quelques sifflets au compositeur, qui s’exprime ainsi à ce sujet : « Ce fut une représentation très mouvementée [« shaky », en anglais, ce qui pourrait laisser accroire soit que l’orchestre a quelque peu flotté, soit que la salle était remuante…], et la pièce arrivait après une longue série de concerts dont la plupart proposaient des œuvres sérielles du Columbia-Princeton Electronic Music Center. {Grand Pianola Music } devait avoir fait penser à un écolier grimaçant derrière sa bobine crasseuse, faisant l’école buissonnière, et en manque d’une solide raclée. » Entre temps, c’est la musique de Adams qui a fait le tour du monde, tandis que les œuvres complètes des tenants de l’Electronic Music Center… passons. Le présent enregistrement est dirigé, trente ans après sa création, par Adams lui-même avec au piano Marc-André Hamelin et Orli Shaham.