En 2006 paraissait, Ravel, aux Editions de Minuit, cet étonnant petit roman de Jean Echenoz inspiré par les dix dernières années du compositeur. En s'appuyant sur cette vie apparemment peu romanesque, l'écrivain ne veut nullement écrire une nouvelle biographie de l'auteur du Boléro (il y en a d'excellentes, à commencer par l'ouvrage fondamental de Marcel Marnat auquel Echenoz fait d'ailleurs souvent référence dans ses interviews), mais construit une œuvre de pure fiction basée sur des faits réels. Ce qui intéresse l'écrivain dans cette démarche, c'est l'exploration d'une vie paradoxale, car exposée sous les feux de la rampe et du succès, mais en même temps solitaire, mystérieuse, et, probablement, douloureuse par le sentiment de vacuité qui s'y installe. Une vie qui va basculer dans une cruelle déchéance physique puisque que Ravel sera comme emmuré vivant par une terrible maladie (la maladie de Pick dont les symptômes sont proches de celle d'Alzheimer) qui le paralyse peu à peu alors que son cerveau reste intact. Anne-Marie Lazarini s'est emparée de ce récit pour le mettre en scène dans son petit théâtre Artistic Athévains qu'elle dirige avec Dominique Bourde et François Cabanat. Elle ne propose pas une adaptation théâtrale, mais bien une lecture du roman lui-même, juste amputé de quelques lignes pour pouvoir lui donner une temporalité adaptée à la durée d'un spectacle. Donné une première fois durant le printemps 2013, ce spectacle a remporté plusieurs prix et est repris en ce moment jusqu'au 31 décembre.

Les amoureux inconditionnels de Maurice Ravel (photo ci-dessus : Ravel portrait d'Alfred Dewiary, d'après une photographie), dont fait partie l'auteur de ces lignes, ont tout lieu de se réjouir de cette transposition, même si le personnage très complexe du compositeur semble se réduire ici à son dandysme bien connu et à ses quelques manies. Le dispositif scénique de François Cabanat présente des objets de la vie quotidienne de Ravel dans un environnement dominé par un bleu uniforme qui peut figurer la couleur de l'océan (la pièce commence par le voyage de Ravel aux Etats-Unis) comme celle du paquet de Gauloises Caporal dont le compositeur faisait grand usage, ce qui serait, soit dit en passant, serait un peu anachronique puisque le bleu fut introduit sur les paquets de Gauloises en 1936 seulement.

Michel Ouimet incarne un Ravel touchant, mélange d'enfant perdu et de créateur tout étonné de son propre succès, alors que Coco Felgeirolles et Marc Schapira (photo du spectacle ci-dessus) évoquent toute une galerie de personnages (Marguerite Long, Hélène Jourdan-Morhange, Jacques de Zogheb, Arturo Toscanini, Paul Wittgenstein) gravitant autour de Ravel.

Le texte de Jean Echenoz commence par la légèreté d'une vie agréable et privilégiée pour basculer peu à peu dans la solitude, l'ennui, l'incommunicabilité et le vide sidéral des dernières années. Cependant, la froideur du décor, la distance que Ravel met entre les êtres comme pour mieux se protéger masquent totalement les aspects multiples d'une musique qui regorge des rythmes bondissants et élastiques de la pelote basque (Rapsodie espagnole), de sensualité (Daphnis et Chloé), de couleur (Valses nobles et sentimentales), de tendresse (L'Enfant et les Sortilèges), de franche rigolade (L'Heure espagnole), de poésie (Poèmes de Stéphane Mallarmé), de rage (Sonate pour violon et piano), de parodie (Tzigane), de dramatisme (La Valse), de nostalgie de l'enfance (Ma Mère l'Oye), de fantastique (Gaspard de la nuit), de gageure (Concerto pour la main gauche), de rêves d'ailleurs (Shéhérazade), d'intimité chaleureuse (Trio avec piano), ou de souvenirs d'une époque révolue (Le Tombeau de Couperin) qui sont autant de caractères constitutifs de l'homme et de sa personnalité. Toutes ces musiques que vous trouverez dans de très nombreuses versions grâce à l'extraordinaire offre de votre QOBUZ.

En revanche, la musique originale de Andy Ermler (jouée en alternance par Yvan Robilliard) provoque un heureux effet de miroir (Miroirs?) avec le texte distancé de Jean Echenoz. On y retrouve l'attrait de Ravel pour le jazz naissant et des bribes de son langage harmonique et de ses tics d'écriture habilement mêlés. Malgré ces quelques réserves, ce spectacle sort Maurice Ravel de son contexte habituel de « musicien classique » pour en faire l'archétype d'un homme universel avec ses souffrances, sa générosité, ses mystères et ses contradictions.

Jusqu'au 31 décembre Consulter le site pour les horaires irréguliers Théâtre Artistic Athévains 45 bis, RUE Richard Lenoir 750018 Paris tél. 01 43 56 38 32