La disparition, à l'âge de 88 ans, du pianiste franco-américain Noël Lee, le 15 juillet dernier, vient assombrir le beau début d'été des discophiles que nous sommes presque tous. L'homme était charmant, urbain, drôle, simple et...vrai. Il avait débarqué à Paris en 1948, trois ans avant Gene Kelly et le pianiste Oscar Levant dans le fameux film de Vincente Minelli qui illustre, avant Woody Allen, un Paris irréel et fantasmé. A l'époque la capitale fait encore rêver les Américains et l?enseignement de Nadia Boulanger attire de nombreux jeunes compositeurs d'outre-Atlantique, de George Gershwin à Philippe Glass, en passant par Aaron Copland ou Leonard Bernstein.

Noël Lee tombe aussitôt amoureux de Paris et le courant passe très bien entre lui et « la Grande Prêtresse de Fontainebleau » qui écrira de lui :

Noël Lee est un des plus beaux musiciens que j?aie rencontrés. Compositeur d?une réelle personnalité, il a la délicatesse et la force, la perception aiguë des ressources de son instrument, le sens de la hiérarchie des valeurs et une compréhension totale des ?uvres.

Le pianiste aux 200 disques était en effet avant tout compositeur, ce qu'il aimait souvent nous rappeler discrètement au détour d'une conversation. Son ?uvre, ambitieuse, touche à tous les genres, la musique de piano, bien-sûr, mais aussi le clavecin, l'orgue, l'orchestre, le concerto, le ballet, la mélodie et même l'oratorio, comme Paraboles, pour choeur mixte, piano 4 mains et ténor solo, créé l'an dernier à Paris, sous la direction de Léo Warinsky. Il est regrettable que si peu d'enregistrements viennent témoigner de cet aspect moins connu de son talent.

Aux yeux et aux oreilles du grand public c'est bien sûr le pianiste Noël Lee qui retient notre attention grâce aux nombreux disques réalisés, principalement pour ARION et VALOIS-AUVIDIS, seul ou avec des interprètes qui étaient aussi ses amis. De ses disques en solitaire signalons avant tout son intégrale Debussy qui avait vu le jour, presque fortuitement, après un enregistrement de mélodies avec Flore Wend et son album très réussi d'oeuvres de l?insaisissable Louis Moreau Gottschalk auquel Noël Lee donne une poésie particulière, dépassant de loin la simple anecdote. S'il y a un nom qui émerge d'emblée de ses fidèles collaborations, c'est bien sûr celui du pianiste français Christan Ivaldi (photo ci-dessus) avec lequel il formait un tandem particulièrement fructueux. De cette belle collaboration sont nés des albums devenus légendaires, comme l'intégrale de l??uvre pour piano à 4 mains de Schubert, dont la Fantaisie en fa mineur, qui fut une révélation pour de nombreux mélomanes. Belle pépite aussi que ce disque consacré à des ?uvres rarissimes de musique romantique pour piano à 4 mains signées Beethoven, Mendelssohn, Schumann ou Hummel. La musique française n'est pas en reste avec ce passionnant album Floraison du piano à 4 mains en France avec des musiques de Chabrier, Massenet, Bizet, Gounod, Ravel et quelques autres. Par delà sa qualité musicale, le duo Noël Lee-Christian Ivaldi c'est aussi un état d'esprit qui touche à toutes les époques et à tous les pays avec une curiosité sans cesse en éveil. Parmi les partenaires de choix de Noël Lee, citons aussi le violoniste Gérard Poulet avec des enregistrements consacrés à Fauré (Intégrale des ?uvres pour violon et piano), Stravinsky, Bartok, Franck et Lekeu et également une belle intégrale de la musique pour violon et piano de Franz Schubert.

On gardera pour la bonne bouche les exceptionnels récitals de mélodies françaises avec l?incomparable baryton néerlandais Bernard Kruysen. Les albums qu'ils nous laissent post mortem sont indispensables à tout mélomane qui se respecte. Leurs anthologies de mélodies de Duparc, Poulenc, Ravel, Debussy, Fauré ou Massenet, malheureusement rarement disponibles pour l'heure dans leur version numérique, restent des modèles d'intelligence, de diction et de style. Elles montrent aussi le rapport étroit qui devrait toujours exister entre un chanteur et un pianiste, rapport non hiérarchique, mais au contraire fusion totale d'une musique écrite pour deux solistes. Noël Lee détestait le terme d'accompagnateur qu'il trouvait dévalorisant pour ne pas dire vulgaire. Ses disques prouvent combien il avait raison.

François Hudry : 24 juillet par qobuz.com