Si la prospérité économique des Trente Glorieuses a pu nous faire croire, tel un écran de fumée, que la paix universelle était enfin venue, les temps troublés que nous sommes en train de vivre viennent cruellement nous rappeler qu'il n'en est rien et que les guerres sont bien présentes sur toute la planète. Les guerres de religion ne sont pas terminées et l'effroyable litanie se poursuit. Après les Croisades, la Guerre de Cent Ans, opposant l'Angleterre et la France, les Guerres de religion qui ont ravagé la France, la Guerre de Trente Ans qui a déchiré l'Europe, les guerres napoléoniennes (plus de six millions de morts), la Guerre franco-allemande de 1870 et les deux guerres mondiales du XXe siècle, les tensions sont vives et la France est à nouveau concernée.

La prochaine programmation de la Cité de la Musique, à Paris, vient opportunément nous le rappeler avec ce cycle en trois temps (octobre, novembre et décembre) consacré au thème très tolstoïen de la Guerre et la Paix. Les artistes ont de tout temps témoigné de la guerre et de ses vicissitudes, soit en restant au-dessus de la mêlée soit en prenant fait et cause pour un des camps. On se souvient en particulier du grand opéra de Sergeï Prokofiev, écrit en 1942, inspiré justement par le roman de Tolstoï et qui fut créé juste après la guerre à Leningrad, en 1946. C'est cette permanence du thème guerrier dans l'Histoire de la musique qui sera évoquée du 8 octobre au 12 octobre.

C'est Michel Tabachnik (photo ci-dessus), un habitué de la Cité, qui ouvrira cette série (le 8 octobre) avec le Brussels Philharmonic dont il est le directeur musical. Beau symbole que de commencer ce cycle avec Beethoven, ce grand idéaliste qui croyait à la paix, à la fraternité et à la sagesse des hommes. Son ouverture de Leonore III est non seulement un magnifique morceau symphonique, mais résume à elle seule les préoccupations pacifiques énoncées dans Fidelio, son unique opéra. Suivra la création mondiale attendue de la dernière œuvre de Tabachnik, Le Livre de Job avant d'entendre une autre partition emblématique de dénonciation de la guerre ; Un Survivant de Varsovie, bref oratorio écrit en 1947 par Arnold Schönberg et dédié à l'Holocauste. Au milieu de ce programme exigeant, la présence d'une "star" internationale, le pianiste croate Ivo Pogorelich, servira d'accroche au public tout en rappelant son engagement social, notamment son aide à collecter des fonds pour les habitants et pour la reconstruction de Sarajevo, après les guerres fratricides qui ont ravagé cette région d'Europe entre 1992 et 1996. Le pianiste a d'ailleurs été nommé ambassadeur de l'UNESCO.

L'Homme armé était un thème récurrent au XVe siècle et de nombreux musiciens ont construit des oeuvres polyphoniques sur cette mélodie populaire, dont Josquin Desprez. Sa célèbre Messe de l'Homme armé sera présentée par Geoffroy Jourdain et Les Cris de Paris (9 octobre), aux côtés de celle du compositeur italien Francesco Filidei. Une œuvre saisissante de ce dernier, car elle offre un écho contemporain à celle de Josquin, avec l'emploi d’armes - des kalachnikovs, pistolets et autres tasers -, ainsi que de sifflets, d’alarmes et de gilets pare-balles.

Jordi Savall viendra le lendemain pour diriger un programme consacré aux guerres européennes, de celle de Trente Ans jusqu'à la paix d'Utrecht. Lorsqu’une marche turque anonyme évoque l’invasion de la Hongrie par l’Empire ottoman ou lorsqu’un motet de Lully célèbre la paix conclue en 1659 entre la France et l’Espagne, c’est tout un pan de l’histoire de l’Europe qui défile, au rythme des conflits et des trêves.

Laurence Equilbey dirigera ensuite (11 octobre) le choeur Accentus et son nouveau Insula Orchestra dans un programme consacré à Mozart (Messe du Couronnement) et à Weber, dont la cantate Kampf und Sieg célébrant la bataille de Waterloo constituera une étonnante découverte pour nous autres Français...

C'est Raphaël Pichon et son Ensemble Pygmalion qui clôtureront, provisoirement (le 12 octobre), le début de ce cycle passionnant, avec des cantates de Johann Sebastian Bach sur le thème du combat entre le Bien et le Mal. On découvrira aussi au cours de ce concert, le puissant Heilig, à deux choeurs, une des oeuvres les plus célèbres de Carl Philipp Emanuel Bach qui est une sorte de Sanctus allemand d'une progression saisissante se concluant par un gigantesque fugato chanté par le double choeur. "Une des oeuvres musicales les plus parfaites et les plus sublimes jamais composées" déclarait-on à l'époque. Ainsi, grâce à Raphaël Pichon, l'anniversaire d'un musicien de premier plan fêté trop discrètement cette année en France passera un peu moins inaperçu...