Disparu en 2006, le compositeur György Ligeti aurait fêté ses 100 ans cette année. Son œuvre étalée sur un peu plus de cinquante ans de carrière fait dialoguer virtuosité et épure dans des partitions d’une grande exigence pour l’auditeur et l’interprète. Retour sur le parcours d’un outsider de la musique contemporaine épris de liberté créatrice.

En cette soirée du 13 septembre 1963, à l’occasion du concert de clôture du Gaudeamus Festival, un bien étrange instrumentarium occupe la salle de réception de l’hôtel de ville d’Hilversum aux Pays-Bas. Une dizaine de performeurs habillés en frac, le visage impassible, entrent sur scène en file indienne et se placent de part et d’autre de tables où sont soigneusement alignés une centaine de métronomes à balancier. Le chef d’orchestre fait son entrée quelques secondes plus tard. Après de longues minutes de silence immobile, il esquisse un geste du bras. Et voilà que les dix « interprètes » actionnent simultanément les métronomes préréglés à des vitesses différentes, avant de quitter la scène avec un sérieux de pape, sous les yeux de spectateurs mi-interloqués, mi-amusés. Pendant une dizaine de minutes, un brouhaha de cliquetis désordonnés emplit la pièce puis s’estompe progressivement jusqu’à l’arrêt du dernier métronome, le plus lent. Le public vient d’assister à la première mondiale du Poème symphonique de György Ligeti, un singulier compositeur venu du bloc de l’Est qui titille la sphère avant-gardiste depuis son installation à Vienne quatre ans plus tôt.

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