Au fil de sa carrière, Christophe, qui a nous a quittés le 16 avril dernier, s’est construit une sorte de petit musée intérieur, étincelant et hors d’âge, dans lequel il errait la nuit. Entre l’amour de la musique et la cinéphilie, Christophe y dévoile ses fétiches, ses obsessions, ses passions, sans jamais perdre de vue son émerveillement enfantin.

La carrière de Christophe (1945-2020) ressemble à un rêve éveillé, une déambulation dans un musée fantastique dont il serait à la fois le gardien et le guide. Chacun sait qu’il possédait une sorte de « musée privé » dans son appartement du boulevard du Montparnasse, lequel régalait les gens de passage – amis, journalistes, collaborateurs confirmés ou potentiels. Cette immense collection/home studio était constituée, entre autres, de synthétiseurs, de juke-box, de disques rares et de films 35 mm. Elle reflétait la psyché baroque de Christophe, son propre musée intérieur, tapissé de textures sonores sans fin et de fantasmes cinématographiques scintillants.

Christophe est tout d’abord un « collectionneur » de genres musicaux. Si l’on excepte sa période yé-yé – par définition très balisée –, le chanteur a toujours su déjouer les étiquettes que le monde de la musique assigne souvent à ses représentants. Il flirte avec certaines modes sans jamais y plonger totalement. Il n’est affilié à rien de précis et navigue en toute liberté, quelque part entre la figure du crooner et celle de l’expérimentateur. Il épouse tous les styles qu’il croise et qui parviennent à le séduire. Cette propension à l’éclectisme a tendance à s’affermir avec le temps : dans l’album Bevilacqua en 1996, il utilise un panel impressionnant de couleurs électroniques alors en vogue (la techno, l'IDM, le trip hop…). Et dans Les Vestiges du chaos en 2016, il propose un riche catalogue de musiques électroniques, pop, blues, New Age et rock. Son langage musical hybride se reflète d’ailleurs dans ses choix de collaborations : il peut aussi bien s’enticher d’Alan Vega (Tangerine) ou de Brigitte Fontaine (Hollywood) que de Patrick Topaloff (Dans ma baignoire) ou Didier Barbelivien (Petite Fille du soleil). Comme beaucoup de ses confrères artistes baby-boomers (Alain Bashung, Eddy Mitchell, Michel Polnareff…), Christophe est à cheval entre la culture française et l’imaginaire américain qui se répand dans les radios et les cinémas de l’Hexagone après la Seconde Guerre mondiale. Il écoute alors aussi bien Édith Piaf et Gilbert Bécaud qu’Elvis Presley et John Lee Hooker.

Pour revenir à son amour des objets, il faut comprendre que le matérialisme du collectionneur Christophe se cogne sans cesse à la puissance de son imaginaire et de sa poésie. Chez lui, le matériel nourrit l’immatériel. Par ailleurs, son regard passionné sur les objets est étroitement lié à l’intérêt qu’il porte à leur confection (et qui lui vient, entre autres, de sa mère couturière). À cet égard, la chanson Les Marionnettes, en 1965, pourrait être considérée comme la première pierre de ce processus artistique. Inspiré par sa propre enfance, durant laquelle il créait des spectacles de marionnettes pour ses voisins, ce morceau dresse le portrait d’un jeune homme rêveur et fétichiste, qui aime jouer avec des personnages faits « avec de la ficelle et du papier ». Derrière la pop orchestrale enlevée, typique des années 1960, le trouble apparaît subrepticement. Rangées entre La poupée qui fait non de Michel Polnareff et Le Mannequin d’Annie Philippe, les Marionnettes de Christophe marquent le début d’une carrière dont l’arrière-boutique se révèle beaucoup plus étrange et névrosée que ce que la forme ne laisse paraître, avec ces mélodies et harmonies qui se déversent à cœur ouvert. De nombreux autres objets figurent dans le répertoire de Christophe, lesquels sont toujours traités comme des totems qu’il vénère – en particulier les automobiles, dont il était très friand (Macadam, Enzo…).

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