La vie est injuste. Certains naissent grands et d'autres petits, telle est la dure loi de la nature et de la génétique. L'histoire de l'art est peuplée elle aussi de grands et de petits maîtres. Si le collectionneur moyennement fortuné ne peut s'offrir qu'un dessin ou qu'une toile d'un petit maître, le mélomane passionné a cette supériorité, grâce en autres à votre Qobuz, de pouvoir s'offrir, et pour un prix des plus modiques, la musique des grands et des petits compositeurs.

Mais il est bien difficile de définir les critères permettant de séparer ainsi le génie d'un talent plus ou moins grand. Disons que le génie d'un Monteverdi, d'un Bach, d'un Mozart, d'un Beethoven, d'un Brahms nous emmène dans des régions où la beauté, la grandeur, l'éloquence nous élèvent et nous touchent au plus profond de nous-même. Mais il existe peu de critères vraiment objectifs et scientifiques pour mesurer le génie, puisque nous sommes tous limités par notre culture, notre vécu et nos propres possibilités de sensibilité et de compréhension.

Le disque est un moyen fantastique de connaître une époque en profondeur en même temps qu'il nous permet de comparer, souvent cruellement, ce qui sépare l'authentique créateur de ses épigones. Certains compositeurs son adulés de leur vivant puis aussitôt oubliés le lendemain de leur mort. Notre vision de la musique en devient plus vaste et les "grands" nous paraissent encore plus grands ! Un autre critère est aussi celui de la mode, ou, disons, de l'air du temps. Stendhal, par exemple, ignore des peintres et des musiciens qui nous paraissent indispensables aujourd'hui. Il semble ne pas connaître Piero della Francesca ni Tiepolo, pas plus que Monteverdi, Vivaldi ou Schubert son contemporain.

L'industrie du disque ayant pratiquement enregistré toute la musique des génies reconnus comme tels, elle se tourne depuis quelques années vers des musiciens de second rang ou injustement méconnus, ce qui nous vaut quelquefois de bonnes surprises. Le phénomène est très sensible pour l'époque baroque où nombres de musiciens oubliés dormaient d'un sommeil qu'on croyait éternel. Le travail du Centre de Musique Baroque de Versailles (CMBV) ou celui de la Fondation Bru-Zane impulsent un grand mouvement de recherches et de découvertes qui nous permettent de nous écarter des autoroutes bien balisées de la musique.

Des interprètes comme Christophe Rousset nous ont fait découvrir le Hercule mourant de Dauvergne, le splendide Renaud de Sacchini ou les Lamentations de Jomelli. Grâce à Hervé Niquet des compositeurs comme Alessandro Striggio, Paolo Lorenzani ou Jean-Nicolas Geoffroy sont sortis de l'oubli. Hugo Reyne a restitué Naïs de Rameau, Les Fêtes de l'Amour et de Bacchus de Lully, La Naissance d'Osiris de Rameau ou les musiques festives de Francoeur et de Philidor. Marc Minkowski a enregistré La Caravane du Caire de Grétry, La Dame blanche de Boieldieu et les Symphonies de Méhul pour ne citer que quelques exemples parmi bien d'autres.

La musique du Danois Niels Gade, très estimée de Mendelssohn et de Schumann, est aujourd'hui largement disponible et il est bien facile de découvrir ses admirables Symphonies et sa musique de chambre. Neeme Järvi a entrepris pour le label CHANDOS l'enregistrement des 11 Symphonies du compositeur germano-suisse Joachim Raff. Le premier album consacré à la Symphonie no 2 et à quatre Ouvertures d'après Shakespeare est absolument passionnant.

Ferdinand Ries (photo ci-dessus), qui n'était plus que le nom d'un élève et ami de Beethoven, est actuellement ressuscité grâce à de très nombreux enregistrements de ses Symphonies, ses Concertos pour piano, ses Quatuors et Quintettes et ses oeuvres pour piano. A l'écoute de sa musique bien faite mais sans génie, on mesure combien il est difficile de sortir de l'orbite d'un soleil aussi puissant.

Il y a de réelles découvertes de compositeurs français à faire, comme la musique de Théodore Gouvy, ce compositeur lorrain admiré de Berlioz. La palme de ces trouvailles revenant sans aucun doute au label TIMPANI grâce auquel des oeuvres rares sont désormais disponibles en écoute ou en téléchargement sur Qobuz. En parodiant Leporello, nous pouvons nous aussi chanter l'air de ce singulier catalogue : Koechlin, Honegger, Bordes, Pierné, Cras, Ropartz, Magnard, Gaubert, Rabaud, Schmitt.

Vive la curiosité qui nous éloigne de la routine et du confort intellectuel...