A la tête de l’ensemble Il Giardino Armonico, qu’il a fondé avec Luca Pianca en 1985, Giovanni Antonini a commencé l’enregistrement des 107 symphonies de Joseph Haydn. Cette monumentale entreprise en est actuellement à son 8e volume et s’achèvera en 2032, à l’occasion des 300 ans de la naissance du Père de la symphonie. Retour sur le parcours de l’audacieux chef milanais.

Après la première intégrale absolue d’Antal Dorati réalisée pour Decca au tout début des années 1970, les symphonies de Joseph Haydn ont été enregistrées vingt ans plus tard par l’Orchestre austro-hongrois sous la direction d’Adam Fischer, dans la salle Haydn du palais d'Esterházy à Eisenstadt. Trente ans après, le goût et les habitudes de jeu ont changé. La vague baroqueuse a provoqué des remises en question salutaires jusque dans les rangs des orchestres modernes, et les pionniers quelquefois radicaux ont été à leur tour remplacés par une nouvelle génération de musiciens sachant faire la part des choses entre le retour à l’ancienne et le retour à une certaine tradition. 

Giovanni Antonini et ses musiciens nous offrent ainsi un Haydn décapé, lumineux, emporté, mais subtilement dosé avec maturité. Cette nouvelle intégrale ne suit pas bêtement la chronologie, laquelle ne correspond d’ailleurs pas à la numérotation des symphonies. Selon Giovanni Antonini, la musique de Haydn possède suffisamment d’émotions diverses et variées pour permettre une édition thématique : « La Passione », « Il Filosofo », « Il Distratto », « L’Homme de génie », la « Roxolana », etc.. Comme pour prouver, si besoin était, la modernité de Haydn, Antonini lui adjoint d’autres symphonies de compositeurs gravitant dans son univers, tels GluckPorporaCarl Philipp Emanuel BachMozartBeethovenMichael HaydnStamitzPleyel ou Salieri, n’hésitant pas, parfois, à enjamber les époques. Bartok, qui s’abreuvait quelquefois aux mêmes sources folkloriques que Haydn, figure par exemple sur un des albums. 

Et ne parlez pas de « Papa Haydn » à Antonini, qui lui réfute à bon droit ce titre réducteur. C’est plutôt l'angle de l’expérimentateur prisonnier de son protecteur et loin de l’agitation et des rivalités viennoises que le chef milanais veut mettre en exergue, avec un travail en profondeur sur la rhétorique, la dynamique, les couleurs, l’articulation et l’expression.

Comme pour son homologue néerlandais Frans Brüggen, c’est la flûte à bec qui va mener Giovanni Antonini à la direction d’orchestre, à la tête des ensembles les plus prestigieux de la planète, parmi lesquels le Philharmonique de Berlin, le Concertgebouw d’Amsterdam, la Tonhalle de Zurich, le Mozarteum de Salzbourg ou encore l’Orchestre symphonique de Birmingham.

Giovanni Antonini est le principal chef invité de l’Orchestre de chambre de Bâle, recréé en 1984 dans l’esprit du premier Kammerorchester Basel fondé par le mécène et chef suisse Paul Sacher, avec lequel il développe d’importants projets discographiques, comme l’intégrale des neuf symphonies de Beethoven (Sony Classical) qui a emporté de vifs succès auprès de la presse et du public ou encore le projet évènement « Haydn 2032 », dont les publications sont en cours.

Commencée en 2014, cette audacieuse entreprise, entièrement produite et financée par la Fondation Joseph Haydn de Bâle, se propose de mêler disques et concerts au cours de 19 saisons à travers toute l’Europe avec le concours d’Il Giardino Armonico et du Kammerorchester Basel. Les deux orchestres se partagent les enregistrements qui paraissent sous le label Alpha avec de grandes promesses éditoriales.

Des points communs avec le jazz

Avec Il Giardino Armonico, le chef milanais a enregistré, comme flûtiste et comme chef, de nombreux disques consacrés à Antonio Vivaldi, pierre angulaire du répertoire de cet ensemble italien qui a décapé la musique du « prêtre roux », la dégageant des couches de vernis et des mauvaises habitudes qui l’avaient peu à peu figée. On doit aussi à Giovanni Antonini des enregistrements avec Cecilia Bartoli : les albums Vivaldi et Sacrificium, ainsi que la Norma de Bellini (Decca). Avec la jeune soprano russe Julia Lezhneva, il enregistre des œuvres de Haendel et un choix de pièces sacrées de Vivaldi et Mozart réunies sous le titre Alleluia (Decca). Il grave aussi des concertos avec de nombreux solistes, dont Isabelle Faust au violon, Christophe Coin au violoncelle ou Emmanuel Pahud à la flûte.

Giovanni Antonini met son érudition et sa passion pour la culture classique au service de ses programmes et de ses interprétations. Empruntée à une phrase de Pétrarque, La Morte della Ragione (La Mort de la raison) devient le titre étendard d’un album conçu comme un voyage musical du XVe au XVIIe siècle traversant des thématiques reliant l’univers de la musique à celui de la pensée philosophique: « Bataille », « Erasme », « Tarentulisme », « Imitation de la nature », « Sens et raison », « Classique et baroque ».

Non rivés à une partition écrite de bout en bout, ce qui briderait leur inventivité et leur fantaisie, les musiciens pratiquent aussi l’improvisation comme à l’époque : « Nous avons trouvé des éléments communs avec le jazz, surtout sur le plan rythmique », confesse Antonini.

Cet itinéraire passionnant qui distingue les deux formes de la folie selon Erasme dessine aussi un portrait en creux de Giovanni Antonini et de ses musiciens, passés ou actuels. Cette ambitieuse et originale fresque musicale est accompagnée d’un livret richement illustré présentant un parcours iconographique ponctué de chefs-d’œuvre de l’histoire de la peinture et de surprises que vous pouvez bien sûr consulter à loisir sur votre Qobuz.

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