À la suite de sa tournée triomphale de 2016-2017, le compositeur Vladimir Cosma a eu la bonne idée de graver l’un de ses concerts-fleuves, dans lequel on retrouve à la fois son sens de la mélodie populaire et son exigence d’orfèvre en matière d’orchestration. Il revient pour Qobuz sur son art de la scène, qu’il exerce partout dans le monde depuis plus de 25 ans maintenant.

« C’est au début des années 1990 que j’ai fait mes vrais premiers pas sur scène, lors d’un concert où j’ai tenu la baguette face à l’Orchestre National d’Île-de-France dans un programme de suites symphoniques inspirées de mes grands succès. Bien que je dirige toujours mes concerts, je ne me suis jamais vraiment considéré comme un chef d’orchestre dans le sens strict et pur du terme. Je me souviens qu’un jour dans un studio d’enregistrement, lorsqu’une jeune violoniste a commencé à m’appeler « Maître » et non pas « Vladimir », cela m’a plus embêté que flatté. Je me considère surtout comme un « compositeur qui dirige sa propre musique », comme Ennio Morricone par exemple.

Face au chef d’orchestre se trouvent les interprètes, qu’il s’agisse des formations ou bien des solistes. Pour le disque, j’ai choisi un orchestre qui me tient particulièrement à cœur, à la fois sentimentalement et artistiquement : l’Orchestre National Symphonique de Roumanie. Derrière l’ONSR se trouve un chœur tout aussi enthousiaste, celui des Universités de Paris, dirigé par l’un des grands compositeurs contemporains que je préfère : Guillaume Connesson.

Vladimir Cosma au studio Claudia Sound

Passons maintenant aux solistes. Lors de mes premiers concerts, seuls quelques musiciens de jazz participaient à mes quelques morceaux crossover. Je citerai par exemple le grand violoniste Jean-Luc Ponty ou le guitariste lyrique et inspiré qu’est Philip Catherine. Puis, petit à petit, l’idée de donner plus de place aux solistes et aux chanteurs, et d’intégrer également des musiciens ethniques s’est mise à germer. Ici, il s’agit de Marius Preda (cymbalum), Greg Zlap (harmonica diatonique), Cesar Cazanoi (instruments traditionnels roumains), Emile Bizga (trompette), Amanda Favier (violon), et les chanteurs Richard Sanderson et Irina Baïant.

Comment s’opère en détail le choix des titres du programme ? Il y a tout d’abord ce que j’appellerai les « incontournables ». Il est de mon devoir de les jouer car le public vient, entre autres, pour entendre ces thèmes qui font désormais partie de la mémoire collective (Le Grand Blond avec une chaussure noire, La Boum, Les Aventures de Rabbi Jacob, pour évoquer les plus emblématiques). Ne pas les inclure serait une sorte de trahison, à mon sens. Dans certains pays, je suis même tenu, par contrat, de jouer tel ou tel thème du fait de leur popularité. C’était le cas du Jouet lorsque je me suis produit en Russie en 2014, car il s’agit d’un succès phénoménal là-bas.

Vladimir Cosma au Châtelet, ses plus belles musiques de films

Morgane

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Le choix des titres est également dicté par ma volonté de créer un programme éclectique, dans l’esprit des « Concerts Salade » que Jean Wiener donnait au Théâtre des Champs-Elysées dans les années 1910 et 1920, et où l’on pouvait entendre par exemple des morceaux de ragtime côtoyant Jean-Sébastien Bach, Pierrot Lunaire d’Arnold Schönberg ou des œuvres d’Erik Satie. Chez moi, même si le cadre est familier et le programme rempli d’airs connus, je souhaite, malgré tout, créer de manière constante la surprise chez l’auditeur. Il faut qu’il soit interpellé, amusé, parfois même légèrement bousculé, notamment par les changements radicaux de style qui s’opèrent sur scène.


Tout ce que j’ai évoqué jusqu’à présent (les solistes, le problème du choix des morceaux, mon rapport à la direction d’orchestre) n’existerait pas sans ce qui me semble être le cœur de mon entreprise : l’écriture. Quelles sont les différentes manières d’écrire pour le concert et de transposer des morceaux parfois très courts en des pièces plus consistantes ? Comment construire des morceaux dont les ramifications sont à la fois classiques, jazz, pop et traditionnelles ? C’est avant tout l’idée de développement qui prime ici. Dans cet esprit, certaines séquences rentrent par exemple dans le cadre d’une forme que l’on pourrait qualifier de « thème et variations ». Je pense notamment au squelette harmonique de certaines phrases mélodiques qui est doublé, triplé ou quadruplé, afin de laisser les solistes s’exprimer.

Greg Zlap et son harmonica

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Mais le développement peut également prendre une tournure plus complexe encore, dans la mesure où des blocs totalement nouveaux peuvent venir se greffer à la structure d’origine d’un thème. C’est le cas de cette fugue du Grand Blond avec une chaussure noire pour chœur et orchestre, que j’ai écrite à partir de la cellule mélodique très connue du thème. Elle vient apporter une touche baroque surprenante dans un morceau qui appartenait à l’origine au genre world music, lui-même en décalage avec l’histoire de cette comédie d’espionnage typiquement française. Le résultat est une sorte de poupée russe à la mise en abyme vertigineuse.

À l’image de la fugue du Grand Blond, d’autres pièces jouent cette même carte du décalage en matière d’arrangement : écrite sous la forme d’un aria à la manière de Gabriel Fauré, et interprétée par la cantatrice Irina Baïant, la chanson Your Eyes se situe à mille lieux des synthés et de la rythmique pop de la version d’origine chantée par le groupe britannique Cook da Books dans La Boum 2 de Claude Pinoteau. Et pour le slow Destinée, c’est le chœur d’enfants issu de l’école de musique Vladimir Cosma de La Motte-Servolex qui remplace Guy Marchand dans la version live. Il est soutenu par un chœur mixte d’adultes, avec des interventions d’Irina Baïant. Avec cet arrangement qui peut paraître déstabilisant, j’ai essayé de traduire musicalement un sentiment ambivalent, celui qui mêle une forme de candeur et une certaine dépravation joyeuse.

Le Grand Blond avec une chaussure noire

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Comme je l’ai évoqué plus haut, la clef de voûte des concerts de musiques adaptées d’œuvres scéniques, cinématographiques ou opératiques, c’est, traditionnellement, la suite symphonique, c’est-à-dire un morceau plus ou moins long, qui juxtapose différents thèmes (principaux ou secondaires) issus de la même œuvre. Je ne vais pas citer toutes les suites de mes concerts, mais je ne peux pas faire l’impasse sur Les Aventures de Rabbi Jacob, qui regroupe le thème principal, la fameuse Danse Hassidique, ainsi qu’un morceau moins connu intitulé La Cadillac en folie, et que je développe afin de mettre en valeur la puissance des percussions.


Mais ce qui me touche le plus lors d’un concert, c’est évidemment l’engouement du public. Dans certaines pièces comme La Course à l’échalote ou Le Grand Blond s’installe même un trouble dans la frontière entre la scène et l’auditoire. La participation des spectateurs frappant dans leurs mains lors des passages les plus rythmés est sans nul doute l’apothéose du concert. Pour pouvoir synchroniser rythmiquement l’orchestre et un public devenu partie prenante de l’ensemble, je tourne sur moi-même pour diriger tantôt l’un, tantôt l’autre, comme dans un tour de magie qui transformerait les applaudissements en un instrument percussif à part entière. C’est dans ces instants uniques que la fête musicale bat son plein, et que je retrouve l’esprit convivial que j’ai connu à mes débuts, lorsque j’enregistrais mes bandes originales dans des lieux mythiques comme les Studios Barclay, Davout ou Guillaume Tell, en compagnie des meilleurs musiciens de Paris. Aujourd’hui, c’est souvent sur scène que s’immisce en moi la chaleur inhérente à la musique, mais aussi une certaine sérénité venant calmer les angoisses du compositeur solitaire et courbé sur sa table pour griffonner quelques notes, légères ou moins légères. »


© Qobuz (Octobre 2017)