Pas de concert en direct de Berlin cette semaine ; parlons donc de l'ultime concert d'Abbado à la tête du Philharmonique de Berlin, en mai 2013, enfin disponible en CD

Le 19 mai 2013, Claudio Abbado donnait ce qui devait être son ultime concert avec le Philharmonique de Berlin, un orchestre dont il avait été le Chef principal entre 1990 et 2002, puis invité annuel et attendu. Parcours magnifique pour ce musicien discret, tranquille, consensuel, l’opposé de son quasi-dictatorial prédécesseur ; chacune de ses apparitions berlinoises suscitaient de la part de l’orchestre un élan de tendresse et ceux d’entre nos lecteurs qui ont la bonne idée d’être abonnés à la Salle de concerts numériques du Philharmonique de Berlin, peuvent déguster autant qu’ils le souhaitent les archives avec ses concerts. Voici proposé en CD le tout dernier concert, présentant les deux opposés et pourtant contemporains que furent Mendelssohn et Berlioz.

Rome 26 avril 1831, lettre de Mendelssohn à sa famille : "Berlioz défigure, sans une étincelle de talent, tâtonnant dans l'obscurité, lui qui en même temps se prend pour le créateur d'un nouveau monde, il écrit les choses les plus affreuses, tandis qu'il ne rêve et ne pense rien d'autre que Beethoven, Schiller et Goethe ; avec ça il est d'une prétention sans borne, tandis qu'il méprise Mozart et Haydn."

Rome, 29 mars 1831, lettre de Mendelssohn à sa mère, au sujet de la Symphonie fantastique : "Je ne peux pas exprimer combien tout ceci m'est totalement odieux. De voir les idées qu'on chérit par dessus tout, avilies et exprimées dans une caricature pervertie, voilà de quoi enrager n'importe qui. Nulle part la moindre étincelle, aucune chaleur, des idioties absolues, des passions artificielles exprimées par tous les moyens orchestraux possibles. Rien que du bavardage indifférent, de simples grognements, des hurlements dans tous les sens. Et quand on voit le compositeur lui-même, cette personne aimable, calme et méditative, allant son chemin tranquillement et sûr de lui, sans jamais douter un instant de sa vocation, incapable d'écouter un avis extérieur, puisqu'il souhaite ne suivre que son inspiration intime, quand on voit combien il évalue et reconnait tout avec exactitude, tout en restant dans la plus absolue obscurité à son propre sujet - c'est inexprimablement affreux, et je ne saurais pas te dire combien cela me déprime quand je le vois."

Voilà ce que pensait le jeune Mendelssohn - déjà célèbre et adulé à vingt-trois ans pour son Ouverture du Songe d'une nuit d'été ou ses Hébrides - du jeune Berlioz - déjà célèbre et décrié à vingt-huit ans pour sa Symphonie fantastique. Pourtant, quelques années plus tard, les esprits se seront calmés et c'est Mendelssohn lui-même qui, directeur musical du Gewandhaus de Leipzig, invite Berlioz à présenter quelques-unes de ses œuvres au public allemand dont il sait qu'il les apprécie. Pas de mauvaises pensées donc de la part de Mendelssohn dont tout porte à croire, pourtant, qu'il n'avait guère changé d'opinion quant à la musique de Berlioz pour lui trop aventureuse.

Berlioz et Mendelssohn échangent les tomahawks, sous l'œil mauvais de Liszt (à droite)

et les incantations de Schumann (à gauche)

Extrait des Mémoires de Berlioz, rapportant un échange épistolaire entre lui et Mendelssohn après un concert en Allemagne en 1843 : "Au chef Mendelssohn ! Grand chef ! nous nous sommes promis d'échanger nos tomahawks; voici le mien ! Il est grossier, le tien est simple; les squaws seules et les visages pâles aiment les armes ornées. Sois mon frère, et quand le grand esprit nous aura envoyés chasser dans le pays des âmes, que nos guerriers suspendent nos tomahawks unis à la porte du conseil." Les tomahawks en question étant les baguettes de chef d'orchestre, tandis que le ton de la lettre trahit l'enthousiasme de Berlioz pour Fenimore Cooper et son Dernier des Mohicans paru sept ans plus tôt.

Lettre de 16 avril 1846 de Berlioz à Mendelssohn : "Permettez-moi de vous dire que j'ai entendu à Breslau votre Songe d'une nuit d'été et que je n'ai jamais rien entendu d'aussi profondément shakespearien que votre musique". Pas de mauvaises pensées donc de la part de Berlioz dont tout porte à croire, pourtant, qu'il n'avait guère changé d'opinion quant à la musique de Mendelssohn pour lui trop peaufinée.

Charge à Claudio Abbado et au Philharmonique de Berlin de nous démontrer, en juxtaposant précisément ces deux œuvres, qu'elles appartiennent pourtant à la même mouvance romantique, chacune à sa manière, et que leurs orchestrations respectives ne sont pas si éloignées l'une de l'autre. Ainsi, l'ouverture du Songe est un trésor d'inventions sonores berlioziennes tandis que le Bal de la Symphonie fantastique dégage une transparence tout à fait mendelssohnienne. Et Abbado y réussit magiquement...