"Orchestre nazi", ainsi fusèrent quelques perfides (et imbéciles) remarques au sujet du Philharmonique de Berlin lorsqu'il survivait à la sombre époque que l'on sait ; dans ses archives vidéo, l'orchestre lui-même propose en ligne un [intrigant film->https://www.digitalconcerthall.com/en/film/108] exposant tenants et aboutissants de sa survie de 1933 à 1945

Tout n'est pas rose dans les somptueuses archives de la Salle de concerts numériques ; naturellement, la majorité des vidéos propose des concerts enregistrés au cours des dernières décennies, mais l'Orchestre Philharmonique de Berlin n'hésite pas non plus à fouiller dans son histoire au cours des noires années du nazisme, afin de nous exposer les divers avis qui ont pu se prononcer quant à sa difficile vie à partir de 1933 et sa survie encore plus compliquée de 1939 à 1945. Oui, oui, nous confirment quelques "anciens" de l'Orchestre qui en furent membres au cours des années trente : une poignée de musiciens étaient bel et bien membres du Parti nazi, seize en tout et pour tout selon le recensement officiel. Et parmi ces seize seuls une demi-douzaine semblaient vaguement convaincus, les autres ayant adhéré par facilité, sous pression familiale ou pour cause de jeunesse décervelée ; un ou deux répétaient parfois en uniforme nazi...

Sur demande du Directeur régional adjoint de la région administrative Grand-Berlin du Parti nazi, le membre du parti Scheller nous parlera de la vision national-socialiste du monde - Présence o b l i g a t o i r e ! Heil Hitler ! SARL Orchestre philharmonique de Berlin

La situation s'est dramatiquement aggravée dès 1933 pour les quelques musiciens d'origine juive : bientôt obligés de quitter l'orchestre, ils se réfugièrent pour la plupart aux Etats-Unis où on leur ménagea un pont en or dans les divers orchestres du pays. Il semblerait que la grande majorité des collègues étaient choqués de la situation, d'autant que l'orchestre, alors une SARL de droit privé, fonctionnait (et fonctionne toujours) selon un système de cooptation collégial. Les membres écartés étaient donc des membres choisis par tous... Par ailleurs, quelques "demi-juifs" restèrent au sein de l'orchestre tout au long de la guerre, en particulier sous la garde de Furtwängler que même la hiérarchie nazie n'osait pas contrer. Autre singularité, les Konzertlager... certains musiciens semblaient expliquer à leurs enfants que leurs élèves juifs ainsi que quelques collègues de la même confession étaient partis poursuivre leur apprentissage ou leur vie musicale dans des Konzertlager, "camps de concert". Sinistre resuffixation du terme "Konzentrationslager", les camps de concentration que l'on ne présente plus. Le terme aurait été forgé, ou du moins largement diffusé, en 1936 par l'humoriste et cabarettiste Willi Schaefers qui, dans un déluge de jeux de mots douteux, raillait les "flûteurs de travers", les "musiciens de devises" (les prêteurs d'argent... autrement dit les juifs) et les joueurs de "zen-tambour", sans doute une allusion allitérative au parti catholique Zentrum opposé dès le début aux Nazis. Tous ces solistes poursuivraient leur formation dans un "Konzertlager"... brrrr ! "On" savait qu'existaient les camps de concentration. Mais savait-on vraiment ce qu'il s'y passait ?

Furtwängler confronte qui-vous-savez

Quelques autres raisons de faire brrrr : plusieurs musiciens, pendant la Guerre, se virent proposer d'emprunter d'excellents instruments à cordes "propriété de la Nation", entreposés dans quelque coffre de la Banque d'état. On se doute qu'ils étaient le fruit de rapines et de confiscation envers les musiciens ou propriétaires juifs émigrés ou déportés. Est-il imaginable que ces instruments ne fussent pas reliés à leurs anciens propriétaires ? Après tout, dans ce milieu très fermé, l'on sait plus ou moins à qui appartient un violon rare... Ignorance véritable, yeux fermés, opportunisme, voire peur des remarques et représailles officielles, allez savoir ce qui poussa quelques-uns à accepter le prêt.

Qobuz vous enjoint vivement à découvrir ce superbe documentaire d'une heure et demie, bourré d'images d'archives, d'interviews dont certaines exposent des points de vue radicalement opposés. Au spectateur de se faire une religion quant à savoir si l'Orchestre Philharmonique de Berlin de l'époque mérite l'infamie du surnom "orchestre nazi" ou pas. Les interviews sont pour la plupart en allemand avec sous-titres anglais, ou en anglais sans sous-titres, mais même le moins doué pour les langues saura comprendre les tenants et les aboutissants de cette sinistre et indispensable remise à l'heure des pendules, parfois arrêtées en 1933.

La saison complète 2014-2015 du Philharmonique de Berlin, sujette à d'éventuelles petites modifications dont nous vous tiendrons informés au jour le jour

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Les archives de la Salle de concerts numérique, soit 329 concerts à ce jour, plus les films et les interviews...

NOUVEAU dans les archives : Les concerts de Karajan !