A l'occasion d'un voyage de presse, certains membres de la rédaction du magazine Qobuz Hi-Fi ont eu la chance de se retrouver à Tokyo pendant quelques jours. Une occasion rêvée de vous dresser le tableau de famille du marché de la musique en terre nippone qui, dans une forme épatante, a carrément progressé de 4% en 2012 (ventes CD + téléchargement légal). Cet article est accompagné d'une vidéo tournée sur place en caméra mobile, et commentée en direct-live...

Le Japon, nouvelle terre promise de la musique légale ? On s'en approche à grands pas. A titre de preuves irréfutables, l'International Federation of Phonographic Industry (IFPI) a avancé des chiffres (d)étonnants concernant l'année 2012.

Alors que le Japon est peuplé de 128 millions d'âmes, contre 313 aux USA, le sol nippon est devenu le second marché musical le plus rentable du moment avec une progression, encore et encore, de 4% en 2012 (CD, streaming payant et musique téléchargée légalement).

Qobuz à Tokyo

Qobuz

A quoi faut-il l'attribuer la santé inespérée du marché de la musique au Japon ?

Il y a plusieurs facteurs qui entrent en ligne de compte. Pour débuter, les japonais ont toujours été des fans de musique, la leur pour commencer, et les musiques occidentales, américaine, européenne...et française ! Ils sont depuis des lustres les rois incontestés des rééditions d'albums de jazz, de soul, de funk, de musique classique, de pop et de rock. Ils vouent également un culte aux anciennes gloires qui symbolisent des pays ou des lieux dont ils rêvent (dont Paris et Los Angeles), et sont d'énormes consommateurs de nouveautés (on a affaire à un peuple affable, très curieux).

Ci-dessus, CA du marché de la musique en 2012, comparé à 2011/chiffres IFPI

Culturellement, il faut également savoir que ce n'est pas dans la culture des japonais de "voler" des choses qui ne leur appartiennent pas. Vous pouvez oublier un carré Hermès sur la ligne circulaire Yamanote Line, et le retrouver au même endroit après que le métro ait effectué un tour complet de Tokyo. De ce fait, le téléchargement illégal, tout ayant beaucoup existé chez les jeunes au début des années 2000, n'est pas aussi "destructeur" que dans d'autres pays (il n'y a jamais eu de boum du "piratage" musical au Japon). De plus, le gouvernement nippon s'y est attelé très rapidement en tuant le ver dans le fruit "grâce" à un contrôle des sites internet de type P2P (une loi ultra sévère a été instaurée, avec mise en détention expresse pour le contrevenant...).

Image PP Garcia/Qobuz - Magasin Tower Records Shibuya/Tokyo

Tous ces éléments combinés font du marché nippon un cas à part dans l'industrie mondiale. A ce propos, alors que les magasins américains Tower Records ont tous fermés aux USA, Tokyo en compte encore plusieurs, et pas des moindres, dont le temple Tower Records de Shibuya où nous avons pris ces photos et tourné la vidéo en HD que vous pouvez visionner dans cette page. Il est composé de 6 étages de musique répartis dans un véritable building.

Une reprise liée à une surabondance des éditions collectors et des rééditions audiophiles.

La chose la plus folle est de constater que le Japon est presque un des seuls pays au monde où la chute de la vente des CD a été importante entre 2003 et 2011, puis connaît une reprise depuis 2012, avec + 9 % ! (on rêve). Cela s'explique notamment par le fait que les japonais adorent les éditions spéciales avec bonus, que l'on trouve à foison sur supports physiques et en téléchargement légal (éditions spéciales pour le Japon). De ce fait, les maisons de disques les ont multipliées à l'envi depuis 2 ans. Quand un album est édité sans bonus (en CD ou en téléchargement légal), les japonais pensent qu'il est "cheap", et qu'il faut donc s'en méfier, et donc ne l'achètent pas.

La bonne santé financièrement de l'industrie de la musique provient partiellement du prix assez élevé de ces éditions collectors qui se vendent comme des petits pains (2500 à 3000 yens, soit entre 20 et 25 Euros).

Photo du rayon CD du magasin Yodobashi d'Akihabara : les rééditions d'albums remasterisés en 24-bit pour le CD accompagnés de bonus en coffrets collectors sont très recherchées. PP Garcia/Qobuz

De "nouveaux" CD audiophiles cassent la baraque au Japon ! Un autre facteur est à prendre en compte : les puristes du son, les audiophiles. Il sont choyés par tous les éditeurs locaux. Ces derniers, qui ont tout compris, remasterisent et rééditent à gogo des oeuvres cultes sur supports physiques de type CD "Blu-Specs" et SHM-CD, c'est-à-dire des CD audiophiles liés à un subtrat particulier (Blu-Specs) ou / et à un mastering pointu particulier (24-bit, puis transfert CD). De Donna Summer à Robert Palmer en passant par la musique classique, ces éditions pullulent. Tout les possesseurs de bons matériels audio se jettent dessus, et ces CD sont très exportés vers le reste du monde (ce dont rêvent justement les japonais !). Comme quoi, la recherche de la qualité est une valeur montante !

Tower Records : réédition de l'intégralité des oeuvres de Serge Gainsbourg en CD réalisés à partir d'un remastering en 24-bit audio. Les japonais en sont friands.

Côté sites de téléchargement, pas d'équivalent de Qobuz ici (ce serait par ailleurs une bonne idée de tenter une incursion sur un tel sol aussi fertile, surtout que notre nom serait facile à prononcer ici), mais des plate-formes connues, dont celle de Sony Music. Les prix vont d'abordables (idem France) à assez élevés - soit 3 Euros la chanson pour les sites de musique pour Smartphones. Du coup, calculs faits, les jeunes plébiscitent les forfaits de streaming et l'achat de CD dont ils copieront les chansons sur leurs Smartphones via iTunes ou autres.

En conclusion : on a donc en effet affaire à un cas à part avec le Japon, dont les ventes ne font que grossir et qui est en passe de devenir l'industrie musicale la plus rentable au monde juste après celle des USA. C'est d'ailleurs ce qu'espèrent les majors locaux et le gouvernement. Si l'exemple peut faire rêver, il n'est pas forcément "exportable" dans le sens où culturellement, les mentalités sont à nulles autre pareilles, et c'est par ailleurs ce qui rend cette ile et sa population fascinantes.

PP Garcia pour Qobuz

Twitter @ppgarcia75