Je trouve la musique de Dvořák d'une profondeur insondable, pleine de beauté, de mélancolie, de nostalgie et aussi hantée par ce sentiment d'adieu typiquement slave, cette tristesse particulière à l'âme tchèque. Il ne s'agit pas de sentimentalité mais d'expressivité poussé à l'extrême. Nikolaus Harnoncourt

Au pays des intellectuels, on a longtemps boudé la musique expressive de Dvořák comme celle de son ami Brahms d'ailleurs. Gabriel Pierné avait jeté à la figure du jeune et déjà célèbre Pablo Casals la partition du Concerto pour violoncelle en criant que c'était une c... de musique ! Ulcéré, Casals annula sa participation et en fut quitte pour régler les frais du procès pour rupture de contrat et le paiement d'une très grosse amende. Les temps ont changé, du moins il faut l'espérer aussi à Paris. Pouvions-nous d'ailleurs continuer - se demandait Philippe Simon dans la biographie qu'il a signée pour les Editions Papillon en 2004 - à nous croire plus fins en matière musicale que nos voisins d'Angleterre ou d'Allemagne qui n'ont jamais cessé de reconnaître des qualités à ce musicien ? Comment en effet rester sourd et insensible à tant de générosité mélodique, d'enthousiasme rythmique, d'épanchement lyrique si sincère ? Dvořák est mort en 1904. Cent dix ans, ce n'est pas vraiment un anniversaire, mais une bonne occasion pour nous rappeler la vie et, surtout, les oeuvres de ce géant de la musique.

Ce fils d'aubergiste destiné à devenir boucher a été vite très marqué par le folklore de son pays natal dont les mélodies et les rythmes vont imprégner toute sa musique. C'est grâce au maître d'école de son village qu'il commence à étudier le violon, puis l'orgue. Maniant mieux l'archet que les couteaux à dépecer, il continue dans cette voie musicale qui va le porter à la révélation de lui-même, tout d'abord comme altiste d'un orchestre de danse qui deviendra l'orchestre du tout nouveau Théâtre National de Prague. Pas étonnant que la musique populaire soit le terreau de sa propre musique lorsqu'il deviendra compositeur. La pratique de l'orchestre est une excellente école qui lui permettra de connaître le répertoire et la musique de Wagner qui le fascine. Il commence à composer, notamment de la musique de chambre, des cycles de lieder, deux symphonies et un premier Concerto pour violoncelle en la majeur. Longtemps resté inconnu, il a été orchestré et vient d'être enregistré par le violoncelliste britannique Steven Isserlis. C'est sous l'impulsion de Johannes Brahms que le nom de Dvořák va se répandre dans le monde entier après que le compositeur allemand ait recommandé son jeune confrère à l'éditeur Simrock. C'est le premier cahier des célèbres Danses slaves qui va asseoir durablement la réputation du compositeur tchèque.

L'œuvre d'Antonin (et non Anton comme on l'entend trop souvent) Dvořák est considérable et variée, elle laisse une très grande place à l'opéra qui va l'occuper du début à la fin de sa carrière de créateur. Hors de son pays, on connait surtout sa merveilleuse Rusalka (avec sa sublime Romance à la lune) écrite à la fin de sa vie, mais il existe huit autres ouvrages lyriques importants depuis Le Roi et le Charbonnier à Armide, en passant par Les Têtes dures, Vanda, Le Paysan rusé, Dimitri, Le Jacobin et Le Diable et Katia.

Pour une première approche, il faudra connaître des partitions aussi essentielles que ses Symphonies nos 6 (Ancerl), 7 (Kubelik), 8 (Abbado) et 9 (Ancerl, Dorati, Talich), les Danses slaves (version de référence de George Szell), le Concerto pour violoncelle en si mineur, dont il existe de multiples excellentes versions (Fournier, Rostropovitch, Mørk) que vous trouverez sur votre QOBUZ, les deux Sérénades (pour cordes et pour instruments à vent). En musique de chambre il faudra absolument connaître la Quatuor en fa majeur (Américain), les deux Quatuors avec piano et le 2e Quintette avec piano de même que Les Cyprès dans leur transcription pour quatuor à cordes. Le Stabat Mater et le Requiem sont deux oeuvres considérables qui ont laissé une empreinte durable dans les mémoires et qui font partie du grand répertoire de la musique sacrée. Fidèle à son pays, Dvořák y a toujours demeuré sans être tenté de s'installer à Vienne capitale de la musique d'alors. Au faîte de sa gloire, il accepte de diriger le Conservatoire de New York de 1892 à 1895 où il enseigne également la composition. En composant sur place sa célèbre Symphonie du Nouveau Monde, Dvořák obtient un succès extraordinaire qui ne s'est jamais démenti. Mais il ne faudrait pas que cette œuvre célèbre, comme d'ailleurs le Quatuor Américain et la Sérénade pour cordes, ne viennent occulter un catalogue d'une extraordinaire qualité. Pour une meilleure connaissance on écoutera avec profit l'intégrale de ses Quatuors ou de ses Symphonies.

Mélodiste né, Antonin Dvořák était pétri des mélodies populaires de son pays. Ce sont ces éléments nationaux qui ont suscité un écho passionné à l'époque du réveil des consciences nationales et patriotiques. C'est cet élément populaire et la relative simplicité de son message qui ont été les ferments de la séduction ou de la répulsion de sa musique à travers le monde. Aujourd'hui, Dvořák fait partie du répertoire universel et sa musique, comme celle de Brahms, est aimée parce qu'elle touche immédiatement le cœur avec une inspiration sincère et un grand soin de l'instrumentation. A propos, que disait Beethoven à propos de sa musique ? Vom Herzen ! Möge es wieder zu Herzen gehen ! Venue du coeur ! Puisse-t-elle y retourner...