Le grand chef d’orchestre néerlandais nous a quittés le 21 octobre 2021 à l’âge vénérable de 92 ans. Reconnu par ses pairs et dans son pays dès sa jeunesse, Bernard Haitink accomplira la majeure partie de son immense carrière aux Pays-Bas, d’abord à la tête de l’Orchestre de la Radio néerlandaise puis du prestigieux Concertgebouw d’Amsterdam pendant vingt-sept ans, avec lequel il enregistrera de nombreux disques devenus légendaires.

Né à Amsterdam en 1929 dans une famille aisée, le jeune Bernard Haitink suit avec assiduité les concerts de lOrchestre du Concertgebouw dirigé par Willem Mengelberg. Caché la moitié du temps sous le pupitre à cause des raids aériens, il apprend ensuite le violon et le hautbois au conservatoire de sa ville natale en côtoyant des camarades juifs qu’il estime plus doués que lui et qu’il ne reverra jamais. Humble et modeste, le jeune homme s’est toujours senti coupable d’avoir bénéficié malgré lui d’une situation le mettant en avant alors que de meilleurs musiciens ne sont jamais revenus des camps. Au début des années 1950, il intègre les rangs de l’Orchestre de l’Union de la Radio néerlandaise (aujourd’hui Orchestre de la Radio néerlandaise) dans les seconds violons, tout en suivant les cours de direction d’orchestre de Felix Hupka organisés par la radio des Pays-Bas, puis avec le chef allemand Ferdinand Leitner. Le chef d’orchestre en herbe fait rapidement ses preuves et est nommé, à 26 ans, deuxième chef de l’Orchestre de l’Union, partageant son activité entre quatre orchestres radiophoniques.

En 1956, Bernard Haitink est appelé au débotté pour remplacer Carlo Maria Giulini à la tête du Concertgebouw. Refusant dans un premier temps l’invitation sous prétexte qu’il n’est pas prêt pour diriger cet orchestre, il se ravise et remporte un franc succès. Cette première expérience à la tête du plus prestigieux orchestre du pays ne passe pas inaperçue. Il devient chef principal de l’Orchestre de la Radio, puis dirige pour la première fois en Grande-Bretagne en 1959 pour une tournée du Concertgebouw à la place de son chef Eduard van Beinum, qui devait décéder peu de temps après à la stupeur générale. Pris de court, le célèbre orchestre nomme alors Eugen Jochum et Bernard Haitink co-chefs d’orchestre en 1961, estimant que ce dernier est encore trop inexpérimenté pour reprendre les rênes à lui seul. Mais deux ans plus tard, il devient le chef de l’orchestre à part entière avec le succès que l’on sait.

Une ardente collaboration

Dès lors, comme à Berlin avec Karajan, à Philadelphie avec Ormandy ou à Genève avec Ansermet, le nom de Bernard Haitink devient, pendant plus d’un quart de siècle, indissociable de celui de son orchestre, avec lequel il entreprend une longue série d’enregistrements où les œuvres d’Anton Bruckner et de Gustav Mahler occupent une place prépondérante. Il faut dire que le Concertgebouw, sous la direction de Mengelberg, s’était en quelque sorte spécialisé dans la musique de Mahler, dont les œuvres peinaient encore à être reconnues. Quant à Bruckner, Haitink a toujours dit qu’il se sentait inexplicablement attiré par sa musique depuis son adolescence. L’intégrale des symphonies de Bruckner sous sa baguette a d’ailleurs fait sensation dès sa parution et s’est aussitôt imposée aux côtés de celle d’Eugen Jochum, la référence à l’époque. La grandeur de la vision de Haitink, la sonorité puissante et raffinée du Concertgebouw, les prises de son claires et naturelles de Philips apportaient une grande nouveauté musicale et sonore. Parallèlement, le chef et son orchestre entreprennent entre 1962 et 1971 une magistrale intégrale des symphonies de Gustav Mahler qui reste d’une actualité absolue. Ces deux cycles exceptionnels ont été remastérisés avec soin et publiés en 2019 en guise de cadeau pour le vieux chef à l’occasion de ses 90 ans. Dans le coffret physique, on retrouve les jaquettes de l’édition originale. Les deux albums figurent ci-dessous avec quelques nouvelles versions isolées enregistrées plus tard à Amsterdam, notamment une somptueuse Neuvième Symphonie de Bruckner enregistrée en numérique au début des années 1980. Haitink a multiplié durant toute sa carrière les enregistrements, en studio ou en live, de ces deux compositeurs avec d’autres orchestres à Berlin, Chicago, Londres, Dresde ou Munich et c’est un peu le parcours du combattant pour qui voudrait s’y retrouver et les écouter tous. Nous y reviendrons.

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