L'annonce du départ de Alexandre Tharaud de chez Harmonia Mundi pour Virgin Classics nous a donné envie de l'interroger sur son rapport au disque. Alexandre Tharaud est, sans doute, l'artiste francais qui a su le mieux fédérer autour de sa personnalité une communauté d'admirateurs et de fans, et cela grâce à des enregistrements tous marqués d'une empreinte singulière...

Votre "transfert" de HM vers Virgin Classics, vu de l'extérieur, peut paraître un peu surprenant. Est-il motivé par une raison d'entente personnelle ou par un souci que vos disques accompagnent autrement, différemment votre carrière ?

— J'ai eu beaucoup de chance d'enregistrer avec Harmonia Mundi pendant huit années. Nous avons réalisé main dans la main plusieurs disques, dont huit solos qui ont été des étapes importantes dans mon parcours. Des divergences m'ont poussé à quitter cette maison. Je repars aujourd'hui avec une nouvelle équipe, une nouvelle énergie et de merveilleux projets.

Que vous apporte le plus aujourd'hui le fait de faire des disques : un dialogue intime avec votre public ? La mise au clair de votre point de vue sur les œuvres que l'enregistrement ferait murir ? La volonté de marquer des étapes de votre travail ? Ou un outil de promotion indispensable ?

— C'est une manière d'avancer en profondeur dans mon travail. À la suite de la sortie du disque Rameau, en 2001, un lien fort s'est tissé avec le public, il a été pour moi un moteur. Enregistrer un disque est comme un rendez-vous amoureux, on espère ne pas décevoir et on a le cœur qui bat. Chaque nouvel enregistrement est pour moi plus difficile, mais je ne peux m'en passer.

Comment enregistrez-vous ? Grandes prises ou petites prises ? Vous abandonnez-vous au regard et à l'oreille du Directeur Artistique ? Ou bien êtes-vous très concerné par la postproduction et le choix des prises ?

— Avec Cécile Lenoir, qui supervise tout mes disques, nous choisissons une prise entière pour chaque pièce. Ensuite je réécoute tout, des heures devant ma chaîne ! Sur la prise de base, nous travaillons alors méticuleusement. Le montage est un travail d'interprétation et d'équibre. Mettre bout à bout de bonnes prises ne sert à rien. Il faut avoir le courage de choisir des passages moins parfaits, des "tunnels", quelques fausses notes, pour pour que le disque vive, qu'il garde la fluidité et l'énergie du concert. La spontanéité est mon obsession.

Que pourriez vous faire au disque dans le futur que vous n'avez pas pu faire chez HM ?

— Avec Virgin Classics, je suis dans la continuité de mon travail entamé il y a plus de quinze ans. Nous allons poursuivre ensemble cette discographie construite autour du répertoire qui m'est cher : la musique baroque et romantique ainsi que la musique contemporaine.

Êtes-vous un peu fétichiste de l'objet-disque ? collectionneur ? Ou au contraire avez-vous basculé sur la musique dématérialisée, comme beaucoup d'artistes ?

— Je suis fondamentalement attaché à l'objet. Je suis moi-même un grand acheteur de disques (certains magasins parisiens me voient souvent...). J'aime le geste qui consiste à sortir un disque de l'étagère, d'en défaire la "galette", la glisser dans la platine et se glisser soi-même dans les premières notes... Je pense d'ailleurs à ce geste quand j'enregistre un disque, je "soigne" ma première plage. Elle est souvent courte, douce... une caresse. Je voudrais que l'auditeur se sente bien, presque instantanément, dès les premières secondes.

Quel sera le programme de votre disque Chopin, le premier à paraître chez Virgin Classics ?

— Un récital Chopin qui s'intitulera "Journal Intime", car il regroupera les pièces qui ont marqué ma vie : les deux premières Ballades, la Fantaisie, les Ecossaises, plusieurs Mazurkas et quelques pièces rarement enregistrées.

Et avez-vous une idée, même une "petite idée" de celui d'après ?

— Nous avons six beaux projets, mais chaque chose en son temps...