Un magnifique live londonien inédit de 2008 montre le grand griot et joueur de kora malien en corps à corps avec les violons du prestigieux London Symphony Orchestra...

Publié par le label World Circuit, l'album Kôrôlén est le témoignage live d’un rêve réalisé par Toumani Diabaté. A travers les années, le célèbre griot et joueur de kora malien s’est illustré en solo, en duo avec ses compatriotes Ali Farka Touré ou Ballaké Sissoko ou avec son groupe Symmetric Orchestra, comme l’un des plus brillants représentants de la tradition mandingue. Il a aussi réussi de somptueux croisements avec les musiques américaines (Taj Mahal et Roswell Budd), européennes (Björk, Ketama, Damon Albarn ou M), brésiliennes (Arnaldo Antunes et Edgard Scandurra) ou iraniennes (Kayhan Kalhor).

En 2008, Toumani Diabaté a mêlé sa riche tradition et exercé sa virtuosité au cœur d’un orchestre symphonique. Ce ne fut pas la première rencontre entre musique mandingue et univers classique. Dès 1992, le Kronos Quartet s’est associé au joueur de kora gambien Foday Musa Suso, plus tard avec la chanteuse malienne Rokia Traoré ou plus récemment avec le Trio Da Kali. Mais c’est la première conjugaison symphonique de cette tradition “kôrôlén” (ancestrale en bambara). Plusieurs orchestres à Liverpool, Oslo ou en Espagne ont été acteurs de ce projet. Celui qu’il nous est donné d’entendre est peut-être le plus prestigieux : le London Symphonic Orchestra (LSO) conduit par le chef d’orchestre anglais d’origine américaine Clark Rundell sur la scène du Barbican Centre.

Deux arrangeurs représentants de deux pays et de deux générations se sont partagé le travail d’orchestration des six pièces de cette suite. L’Anglais Ian Gardiner, qui a exercé ses talents dans les champs jazz, classique ou pop (Goldfrapp, Jarvis Cocker, OMD) et le quarantenaire originaire du Vermont Nico Muhly, aussi à l’aise avec le minimalisme de Philip Glass, l’inventivité contemporaine de Björk ou le néo-romantisme des New-Yorkais d’Antony and the Johnsons.

Toumani Diabaté and the London Symphony Orchestra - The Making of 'Kôrôlén'

World Circuit Records

La kora égrène les premières notes qui s’envolent, légères telles des bulles de cristal. Une nappe apparaît, les violons planent suivis des instruments à vent tout aussi aériens et de l’ensemble de l’orchestre gracile et respectueux de l’ancêtre harpe mandingue. L’organisation du spirituel Haïnamady Town a été prise en charge par Clark Rundell, qui, pour Mama Souraka, cède les partitions au jeune Américain. L’ambiance est joyeuse, les cordes dodelinent, les flûtes rigolent, la kora mutine les entraîne où elle le souhaite. Pour Elyne Road, Muhly garde la main. Son ADN minimaliste est sensible mais s’échappe volontiers vers des chemins escarpés. La kora galope, tisse une toile vagabonde que l’orchestre éclaire de tous ses feux. Comme le morceau précédent Cantelowes Dream, qui a également été développé sur The Mandé Variations, album solo de Toumani sorti lui aussi en 2008. Le même clin d’œil au thème de The Good, the Bad and the Ugly de Morricone est lancé en amont, mais ici, les improvisations à la kora sont appuyées par le balafon de Fodé Lassana Diabaté, qui cède le premier blanc à la guitare de Fanta Mady Kouyaté avant de développer un duel amiable avec la flûte de Celia Chambers. L’orchestre harmonise et mène la rythmique.

Toumani Diabaté And The London Symphony Orchestra - Mamadou Kanda Keita (Official Video)

World Circuit Records

Dès lors le concert prend de l’ampleur. Sur Moon Kaira, Gardiner met l’orchestre en avant, la cadence et les harmonies sont franches et glorieuses. Le balafon opère une allègre percée, la kora est davantage en retrait. Pour Mamadou Kanda Keita, adaptation du Mamadou Boutiquier tiré du classique de 2005, In the Heart of the Moon, album co-signé avec Ali Farka Touré, le grand griot Kassé Mady Diabaté entre en scène. Encouragé par la puissance sensible de son génial parent Toumani, il envoûte le micro, l’orchestre et le public. Bouquet final qui finit d’enflammer le Barbican qui, comme nous aujourd’hui, n’est certainement pas près d’oublier cet historique mariage entre deux mondes musicaux aussi brillamment représentés.

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