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Florent Schmitt

Pauvre Florent Schmitt... Après avoir été l'un des plus joués des compositeurs français entre 1900 et 1940, il s'est trouvé versé dans un purgatoire à l'issue de la Guerre, dès lors qu'on estima qu'il n'avait pas choisi le bon camp - sans réellement le condamner puisqu'en réalité les charges étaient bien faibles, la condamnation pénale aussi d'ailleurs, mais l'ostracisme fut bien réel et on ne le joua pratiquement plus pendant plusieurs décennies. C'est à peine si La Tragédie de Salomé a droit parfois aux honneurs de quelques orchestres français en quête de programmes un peu originaux. Voici quelques repères.



Né en 1870, exactement de la même génération que Ravel, Rachmaninov, Scriabine, Roussel, Vaughan Williams, Schönberg, Florent Schmitt passa une jeunesse sans histoire à gravir les échelons des Prix du Conservatoire de Paris (classes de Fauré et Massenet) avant de décrocher le Grand Prix de Rome de 1900 : sa carrière était lancée. Ce fut d'abord le tonitruant Psaume XLVII qui réussit à le placer sur l'échiquier des compositeurs avec lesquels il fallait compter - pas une mince affaire avec Debussy dans les parages, célèbre depuis Pelléas, Ravel qui faisait lentement mais sûrement sa place, et Stravinsky qui lorgnait des coulisses avant de submerger la planète avec L'Oiseau de feu puis le Sacre du Printemps. Cela dit, il faut quand même rendre à Schmitt ce qui est à Schmitt : oui, sa Tragédie de Salomé de 1907 (surtout le mouvement final en rythme de 5/4) rappelle furieusement le final de Daphnis et Chloé de Ravel (avec son rythme, on l'aura deviné, en 5/4). mais Daphnis date de 1912 ! Personne n'a l'idée saugrenue de traiter Ravel d'épigone de Schmitt, il serait bon que l'inverse fût vrai aussi.



Parmi les grandes influences qui ont animé Schmitt, il convient de citer la musique moderne russe et ses rythmes rudes, voire délibérément primitifs ; ainsi que les accents des musiques orientales alors connues - que l'on retrouve, stylisés, dans Salammbô ou Antoine et Cléopâtre. Cela dit, le compositeur n'appartint jamais à aucune école, se défia des dogmes et des systèmes (ceux de Debussy au début du siècle, ceux des Viennois après la Première guerre, ceux des anti-wagnériens un peu tout le temps, ceux des pro-wagnériens en même temps.), et garda toujours son indépendance autant musicale que critique. Il excella dans tous les domaines hormis celui de l'opéra qu'il n'aborda absolument pas ; son langage ne refuse pas l'héritage romantique, tout en se situant dans une lignée moderne en totale adéquation avec son temps jusqu'en 1940. Mais il ne fut jamais avant-gardiste, et l'Après-guerre fut pour lui une époque sombre de réclusion humaine et musicale, jusqu'à sa mort en 1958 à l'âge de 88 ans.



Naturellement, une vie d'une telle longueur ne pouvait que laisser éclore un oeuvre des plus imposants : deux symphonies, une symphonie concertante avec piano, de nombreuses pièces isolées pour orchestre, des mélodies totalement négligées de nos jours, de la musique pour piano dont les magnifiques Mirages de 1920 avec l'extraordinaire Tragique chevauchée dont il a lui-même établi une phénoménale orchestration, et des ballets parmi lesquels l'assez célèbre Salomé dont on connaît surtout la version pour grand orchestre de 1911, alors que l'original de novembre 1907 ne fait appel qu'à une vingtaine de musiciens - théâtre exigu oblige. Dans La Tragédie de Salomé, Schmitt a su magistralement se détacher du Salomé de Strauss qui venait de faire fureur à Paris en mai de la même année : il joue sur les contrastes de couleurs, les subtiles lignes entremêlées, plutôt que sur l'armée orchestrale de Strauss et son irrésistible avancée. La version pour grand orchestre annonce clairement Le Sacre, deux ans plus tard.



Outre ses activités de compositeur, Florent Schmitt fut un chroniqueur redoutable et redouté, même si sa méchanceté semble considérablement exagérée. Disons qu'il se situait dans les chroniques de son époque. Quelques exemples, dans lesquels nous avons gardé ses amusants néologismes : « Il y a longtemps que je n'avais prononcé le nom de Villa-Lobos, ce fauve quintessencié des Tropiques. Le voici de nouveau dans la clairière, terrifiant les cités et brandissant ce formidable Choros X, tout débordant d'invention en son savant et inextricable mélange de grandiose et d'intimité, de tumulte, de tendresse, de sauvagerie et de préciosité. Peu de ligne mélodique, à vrai dire. Mais la cadence est forcenée, la couleur aveuglante. Une percussion à l'infini mobilise les bruitismes du terroir, depuis le réco-réco, sorte de râpe haut-parlante, râpe à diamants qui rappelle à la centième puissance les rauques grincements de nos crécelles campagnardes du vendredi saint, jusqu'au karaxa et au xucalho, massue bourrée de mitraille et de tonnerre, toute une armée chirurgicale qui, déchirant les airs et les tympans, scande le choeur et les danses d'un rythme d'enfer. » Le Temps, samedi 9 mai 1936. « Le musicien garde son oeuvre, dont la postérité, tôt ou tard, fera justice : ces auditeurs, qui se croient si malins, ne garderont un jour, avec la honte et le ridicule de l'avoir méconnue, que leurs sifflets rentrés, tout comme en 1861 les imbéciles du Jockey-Club qui s'esclaffaient à Tannhäuser, ou en 1890 les douairières du Conservatoire dont la symphonie de Franck, à présent si démesurément entrée dans les moeurs, contristait la virginité à retardement, ou encore en 1902, les badauds de la Salle Favart, tout glorieux de n'avoir rien compris à Pelléas. » Dans le même article, il loue aux nues la nouvelle oeuvre de Weinberg. Le Temps, samedi 16 mai 1936. Rien de bien méchant là-dedans.



Après les années 40, il se tourne de plus en plus vers la musique de chambre, plus épurée (et plus facile à faire jouer ?). Ce sera le superbe Quatuor de saxophone, l'ingénieux Quatuor de flûtes, le Trio à cordes, des oeuvres d'une brûlante intimité dans lesquelles Schmitt sait magistralement manier les techniques des instruments pour en extraire toutes les possibilités, toutes les sonorités. On a dû attendre deux ou trois décennies après sa mort pour que sa superbe musique sorte enfin de cet injuste purgatoire. Il était grand temps !



© Qobuz 01/2013

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