101

Chronique

Elégant. C’est le premier mot qui vient à l’esprit en écoutant le sixième album de Keren Ann. Et c’est d’ailleurs ce qui caractérise tous les disques de Keren Ann, tant l’artiste s’est construit, depuis La Biographie de Luka Philipsen (2000), un curriculum vitae quasi infaillible. L’ancienne acolyte de Benjamin Biolay sait comme personne créer des atmosphères intimistes. Elle réussit ainsi à être passionnante là où beaucoup sont ennuyeuses, fades et sans audace.

De l’audace, Keren Ann n’en manque pas – mais sans y toucher. 101 confirme, sans l’ombre d’un doute, ce talent. Surfant sur ses influences de longue date (Bob Dylan, Bruce Springteen, Lou Reed ou Billie Holiday), elle en joue pour mieux s’en démarquer, apposant sa propre griffe. Une fois de plus, l’auteur compositeur et interprète se double d’une réalisatrice hors pair et offre une limpidité sonore à l’ensemble de son album. Certes, sa musique ne change pas vraiment : le folk est dépouillé (« Run With You », « All The Beautiful Girls »), le rock mélancolique (« You Were On Fire »), la joie un peu triste (« Song From A Tour Bus ») et la tristesse optimiste (« Sugar Mama »).

Or, des morceaux comme le single (bien choisi) « My Name Is Trouble » prêtent à confusion, et marquent une nouvelle ère dans la carrière de Keren Ann. Elle se met ici réellement en danger avec un chant très haut et un rythme qui bousculent sciemment ses habitudes. Comme souvent, elle s’invente des personnages troubles (« She Won’t Trade for Nothing »), mais flirte cette fois avec une violence froide teinte d’humour noir (« Blood on My Hands »). Tout en restant, et c’est cela sa grande force, identifiable et, mieux encore, reconnaissable. Aussi bien contre ceux qui l’attendent au tournant que pour ses admirateurs de longue date.

Quant au morceau « 101 », qui donne son nom à cet opus irréprochable, il offre un exemple du meilleur de Keren Ann. Sous influence gainsbourienne (époque Melody Nelson, bien entendu), elle fait preuve d’une impressionnante maîtrise orchestrale, textuelle et mélodique. Tout en rappelant ce don rare qui est le sien : celui de transporter ailleurs, le temps d’une chanson, son auditeur – même le plus réfractaire.



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