Délicate entreprise pour le mélomane, de trouver la bonne attitude à adopter face à l'arrivée d'un nouvel enfant prodige sur le marché de la musique classique. Entraînement intensif, compétition rude, surexposition médiatique... tel est le lot pour nombre d'entre eux qui souhaitent se faire une place en tant qu'interprète. L'excellence musicale aurait-elle un prix, celui de l'innocence ? L'exemple de Christian Li semble nous apporter une réponse plutôt rassurante, tant le jeune violoniste parvient à conjuguer fraîcheur et spontanéité en dehors des plateaux, et maturité de jeu en studio et sur la scène. À tout juste quatorze ans, ce violoniste australien d'origine chinoise bat déjà tous les records : plus jeune gagnant du Concours International Menuhin, il devient également en 2020 le plus jeune artiste à signer un contrat chez Decca. Pour son premier album sur le prestigieux label britannique, Li nous offre un programme généreux autour des Quatre Saisons de Vivaldi, complété par quatre duos violon-piano tirés de son panthéon personnel.
Vivaldi: The Four Seasons, Violin Concerto No. 4 in F Minor, RV 297 "Winter" - I. Alleg...
ChristianLiVEVOLa première impression qui vient à l'écoute de ces Quatre Saisons, est celle d'une rare connexion entre le violon et l'orchestre, témoignant d'une belle sensibilité de chambriste chez Christian Li. Le jeune interprète fuit ainsi l'écueil du cabotinage et de la démonstration de force. Ici, le violon s'insère de façon fluide et naturelle dans le propos général des quatre concertos. On est agréablement surpris par l'interprétation qui se dirige vers des nuances più piano à certains endroits, là où l'on s'était habitué jusqu'ici à des attaques plus sonores. Mais au contraire, Li n'hésite pas à adoucir le discours pour mieux nous cueillir plus tard lors des passages virtuoses dans lesquels il déploie toute son aisance et la flexibilité de son jeu. L’Allegro non molto du Concerto n°4 "L’Hiver" est un parfait exemple de la souplesse de l'interprète : son instrument se fait tour à tour frôlement et incise sans que l'auditeur ait vu venir la transition, dans un tempo plus changeant qu'à l'ordinaire. On est ravi de découvrir ici une formation préférer l'intelligence collective à la seule mise en avant du soliste. Rendons à César ce qui lui appartient, et saluons donc au-delà de la prestation du jeune violoniste, au demeurant irréprochable, le tandem qu'il forme avec le Melbourne Symphony Orchestra.
Vivaldi: The Four Seasons, Violin Concerto No. 1 in E Major, RV 269 "Spring" - I. Allegro
ChristianLiVEVOChangement d'horizon sur les quatre derniers titres de l’album ; avec la complicité de Timothy Young au piano, Christian Li nous montre, tel un peintre, de nouvelles couleurs à sa palette. Deux courtes œuvres rendent un hommage élégant à ses racines chinoises : le traditionnel Fisherman's Harvest Song arrangé par le compositeur contemporain Zili Li, et Tambourin chinois de Fritz Kreisler.
Dans le premier, on retrouve la finesse, la douceur presque liquide qui nous avait séduits dans les Quatre Saisons. Li assume le lyrisme de la partition avec un vibrato et un rubato parfaitement dosés, retrouvant dans les passages plus sautillants son extrême vélocité. Dans le second, le jeu se fait plus mordant, acéré, voire franchement moqueur. L'album se conclut sur une Méditation de Thaïs bouleversante de justesse tant elle est douloureusement chuchotée par moments, suivie d'une Ronde des lutins de Bazzini, d'une virtuosité et d'un humour plus que revitalisants.
Massenet: Thaïs - Méditation (Arr. R. Nichols for Violin and Piano)
ChristianLiVEVOOn est impressionné par la maturité musicale de Christian Li, par son agilité à passer d'un registre à l'autre – de l'orchestre baroque au duo contemporain, par la souplesse de son jeu, et par sa lecture intelligente des œuvres du grand répertoire. Le jeune violoniste devrait sans peine se faire une place durable dans le paysage, et figurera certainement parmi les grands interprètes de demain.