Aussi essentiel qu'Elvis Presley, Chuck Berry et Little Richard, le Killer, ultime légende du rock'n'roll, a définitivement rangé son piano, ses excès et ses "grosses boules de feu" à 87 ans...

Voilà. Le dernier clou du cercueil du rock’n’roll vient d’être enfoncé. Vendredi 28 octobre 2022, Jerry Lee Lewis a fermé définitivement ses yeux, chez luil, à Nesbit, dans l’Etat du Mississippi. À 87 ans, celui qu’on surnommait le Killer (“le Tueur”) rejoint tous les pionniers de ce genre musical qu’ils inventèrent dans les années 50. Elvis Presley, Chuck Berry, Little Richard, Johnny Cash, Carl Perkins et Jerry Lee Lewis donc… Tous partis désormais. Comme les poilus de 14-18… La grande histoire aime garder les symboles. Rien que les symboles. Celui de ce blond hystérique au visage émacié foutant le feu sur scène à son piano, bien avant qu’Hendrix en fasse de même avec sa Stratocaster. Celui de ce jeune obsédé par les nymphettes qui passe la bague au doigt de Myra Gale Brown, sa cousine âgée de seulement 13 ans ! Celui d’un pianiste infernal qui chamboulera les codes de son instrument. Et celui de chefs-d’œuvre intitulés Crazy Arms, Whole Lotta Shakin' Goin' On, Breathless, High School Confidential sans oublier Great Balls of Fire. Ce barge de Jerry Lee Lewis, sorte de punk ultime, était ça et bien plus encore…

Jerry Lee Lewis - Whole Lotta Shakin' Goin' On (Steve Allen Show - 1957)

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Comme la plupart de ses collègues de la révolution rock’n’roll, Jerry Lee Lewis sait qu’il est là pour faire dérailler les trains et plastiquer les codes. Comme ce dimanche où, derrière le piano de l’église, il transforme en pleine messe un hymne religieux en boogie-woogie infernal ! Assez pour se faire virer du lycée et le motiver à prendre la route pour jouer dans les clubs. Memphis est alors un aimant naturel pour lui. Memphis et surtout sa bouillonnante Mecque baptisée Sun Records. Fin 1956, celui qui vit le jour le 29 septembre 1935 à Ferriday, un trou de Louisiane, décroche une audition chez le mythique label de Sam Philips, dont il devient un poulain supplémentaire. En plus de ses propres singles qu’il enregistre à la chaîne, Jerry Lee Lewis joue également derrière d’autres stars de la maison comme Carl Perkins, Johnny Cash et Billy Lee Riley. Ce vivier de chiots géniaux et fous, qui ne savent pas encore que la musique qu’ils jouent là va transformer la planète pour toujours, passent la plupart de leur temps à croiser le fer. Nirvana de ces instants, le 4 décembre 1956. Ce jour-là, Elvis, de passage dans le studio Sun, entend Perkins enregistrer ses nouvelles chansons avec Jerry Lee Lewis au piano. Comme dans un conte de fées, Johnny Cash est dans les parages et rejoint la troupe. Les quatre Sudistes se lancent alors dans une jam-session composée en majorité de chansons gospel que Sam Philips s’empresse d’enregistrer sans prévenir personne. La bande sera publiée des années plus tard sous le nom du Million Dollar Quartet

Jerry Lee Lewis - tocando piano con los pies

Helmi Lorenzen

Ces années Sun feront de Jerry Lee Lewis une star à part entière. Debout face à son piano, ou complètement de biais, frappant le clavier de ses coudes ou de ses genoux, il fait de ses concerts des messes hystériques qui effraient les DJ les plus classiques et poussent certaines stations de radio bien conservatrices à boycotter Whole Lotta Shakin' Goin' On et surtout Great Balls of Fire. Jerry Lee lui-même, pas à une contradiction près, avoue être parfois mal à l’aise en braillant ces hymnes païens, lui, l’ultra-pieux… Mais quand il décide de se marier avec sa jeune cousine, la sortie de route est inévitable. Alors qu’il se produit en Angleterre, le scandale éclate, révélé par un journaliste local. Shocking international, la tournée est annulée et Jerry Lee rentre au pays fissa. Même s’il continue à enregistrer durant les années qui suivent, son nom s’éclipse des gazettes.

Jerry Lee Lewis Interview with 13 year old wife 1958

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En 1963, il signe chez Smash Records mais sa production ne fait plus guère d’étincelles. Son aura reste intacte, régulièrement lustrée par la jeune génération montante britannique des Beatles et autres Yardbirds alors fans du pianiste fou. Mais le bonhomme sait encore électriser les foules comme avec son Live at the Star Club, Hamburg, enregistrement d’un concert nerveux au Star-Club de la ville allemande, le 5 avril 1964. Jerry Lee Lewis en veut tout de même à Smash Records de ne pas réussir à faire de ses disques des tubes planétaires. Un changement de braquet s’impose – surtout synonyme de changement de répertoire. En 1968, Jerry Lee s’attaque à la country pure et part enregistrer à Nashville. Bingo ! Sur des chansons comme Another Place Another Time, il canalise sa folie, met en exergue sa voix à l’âme soul et retrouve le chemin du succès : de 1968 à 1977, il place 17 singles dans le top 10 des charts country, relançant sa carrière comme jamais. Mieux : le 20 janvier 1973, pour la première fois de sa vie, il monte sur la scène du Grand Ole Opry, émission culte de concerts country. Belle revanche pour celui qui, à ses débuts, fut rejeté par cette Nashville qui ne le trouvait guère à son goût. De superbes années country impeccablement compilées sous le titre Killer: The Mercury Years, en trois volumes : Vol. One (1963-1968), Vol. Two (1969-1972) et Vol. Three (1973-1977).

Jerry Lee Lewis - Great Balls of Fire (1957) 4K

Classic Hits Studio

Durant les 70's, la jeune génération qui s’intéresse aux pionniers du rock’n’roll lui permet de continuer à tourner aux quatre coins du monde et d’enregistrer régulièrement, parfois même avec de jeunes musiciens comme Rory Gallagher, Kenney Jones ou Albert Lee. Une décennie durant laquelle, l’alcool aidant, Jerry Lee Lewis enchaîne esclandres et pétages de plomb en studio, insultant producteurs, ingénieurs du son et musiciens, parfois l’arme à la main… Comme ce 23 novembre 1976 où, avec son révolver, il rôde et titube, ivre mort, devant le portail de Graceland, la maison d’Elvis, hurlant « Sors ! Allez sors ! On va voir qui c’est le King ! ». Dans un registre similaire, deux mois plus tôt, le pianiste avait failli trucider son bassiste Butch Owens en tirant, accidentellement dira-t-il, avec son Magnum 357…

La fin de la carrière de Jerry Lee Lewis est un enchaînement de concerts et d’enregistrements souvent anecdotiques. Le public vient voir et toucher ce Killer des 50's qu’il n’était plus vraiment mais dont le mythe perdurera jusqu’à sa mort… Chacun peut, chacun doit ressortir ses enregistrements Sun. Constater une fois de plus leur intemporalité. La puissance de leur simplicité. La force du tangage de cette voix et des uppercuts des accords plaqués sur le clavier maltraité. Aujourd’hui encore, tout ça tue !

JERRY LEE LEWIS - Whole Lotta Shakin' (w/Springsteen) live @ Rock 'n' Roll Hall of Fame Opening '95

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