La petite ville de Cadaqués a dormi pendant longtemps, face à la mer, mais isolée par les montagnes. Ce port de pêcheurs de Catalogne, peu accessible, a été préservé de la pioche des démolisseurs grâce à Salvador Dali qui l'a réveillé dans les années cinquante pour en faire son refuge et celui de ses amis surréalistes. Il s'est battu contre les promoteurs immobiliers de tous poils pour défendre le patrimoine et le charme de cette cité. Son souvenir est encore très présent aujourd'hui, dans sa maison devenue musée (dernière photo-ci-dessous) et dans les nombreuses galeries d'art où chaque visiteur espère y retrouver un peu de son esprit. On croisait autrefois dans ses ruelles Picasso, Garcia-Lorca, Breton ou Magritte et, plus récemment Bob Dylan ou Patrick Bruel.

Revers de la médaille, Cadaqués est devenu aujourd'hui une sorte de Saint-Tropez catalan qui accueille des milliers de touristes chaque année. Mais il est tout de même réjouissant de sortir de la morosité ambiante pour assister à l'ascension de son orchestre, d'excellente qualité, et qui enregistre à tour de bras, pour le petit label indépendant catalan Tritò, semblant défier la crise du disque et celle de l'économie.

L'Orchestre de Chambre de Cadaqués a été fondé en 1988 comme orchestre résidant du Festival de la même ville. Formé de musiciens venus de toute l'Europe, il est aujourd'hui régulier et se produit dans plusieurs villes de la région jusqu'à Madrid. Gianandrea Noseda est le titulaire de cet ensemble en binôme avec Jaime Martin, ancien flûtiste de l'ensemble devenu chef-d'orchestre. Le vétéran, mais toujours bien portant, Sir Neville Marriner, 89 ans, en est le principal chef invité. Sa personnalité, son aura et son long travail à la tête d'un orchestre de chambre (Academy of St Martin in the Fields) assure à l'orchestre une cohésion et un style sans faille. Ensemble, ils viennent d'enregistrer les Symphonies no 1 et 2 et les Symphonies nos 5 & 6 de Beethoven, premiers jalons d'une nouvelle intégrale. Cela sonne clair, léger et, paradoxalement, très jeune et vivifiant. D'autres albums sont consacrés aux concertos pour instruments à vent de Mozart et au "Mozart espagnol", ce malheureux Juan Crisóstomo de Arriaga, né cinquante ans jour pour jour après Amadeus, mais qui mourra à Paris, encore plus précocement que son modèle, quelques jours avant de fêter son vingtième anniversaire. Grand amoureux de la musique française, Sir Neville a consacré un bel album à l'exquise Symphonie no 2 de Gounod et à Gabriel Fauré.

Musique française toujours avec Gianandera Noseda qui vient de signer une pimpante Symphonie en ut de Bizet aux côtés des Pavanes de Ravel et de Fauré et de la musique de scène pour Pelléas et Mélisande de ce dernier. Mais le chef italien à d'autres cordes à son arc puisqu'il vient tout juste de signer une intégrale des Symphonies de Brahms qui sonne de manière dégraissée pour ne pas dire "ultra light". On peut aussi l'écouter avec des oeuvres de Respighi, Granados, Mozart, Mendelssohn et Chostakovitch. Autre instrumentiste reconverti en chef-d'orchestre, le pianiste français Philipe Entremont a enregistré plusieurs CD à la tête de la phalange catalane, dont le ballet La Boîte à Joujoux de Debussy qui est un vrai régal et qui nous permet en plus d'apprendre l'espagnol !

Le label Tritò se consacre aussi aux compositeurs espagnols et sud-américains avec un accent particulier pour les Catalans, comme Salvador Brotons, Xavier Benguerel, Xavier Montsalvatge et le vibrionnant Emilio Aragon, acteur, présentateur de télé, compositeur et chef-d'orchestre.

Vous pouvez suivre l'irrésistible, et presque... surréaliste, ascension de l'Orchestre de Chambre de Cadaqués sur votre Qobuz au jour le jour, puisque la presque totalité de sa discographie est disponible en version numérique.