Rayahzone c'est de la danse, de la musique et du théâtre en même temps ! Tout commence par l'entrée sur scène, des musiciens, cinq chanteurs soufies et percussionnistes. Dans ce décors de cours cernée de murs, trois danseurs interviennent, chacun incarne une personnalité particulière par sa tenue et son allure : la Folie, la Raison et la Mort. Entre danse, cirque et expression corporelle, leurs corps en interaction, n'en forment plus qu'un grâce à des mouvements fluides et des figures acrobatiques. C'est de ce tout que naît le langage chorégraphique, porté par les voix des interprètes de hadra (cérémonie soufie). Ce tissu sonore est l'œuvre d'un pianiste et musicologue formé à l'Institut supérieur de musique de Tunis, Sofyann Ben Youssef. Curieux de toutes les spiritualités musicales, qu'elles viennent d'Orient ou du reste du monde, il a reconstitué la richesse d'un répertoire aussi ancien que l'Islam, à la fois simple dans son économie - voix, claquements de mains et percussions - et complexe dans son architecture rythmique.
Acteur clé du spectacle, ce pianiste et compositeur tunisien vivant en Belgique, en est le directeur musical et en outre percussionniste sur scène. Il explore les richesses de la musique soufie dans laquelle il a baigné, tout en apportant sa touche personnelle en travaillant notamment sur la place du silence et le souffle. Spirituelle, la partition est interprétée par des chanteurs tenants de la tradition.

Vieux de douze siècles le soufisme est le courant le plus mystique de l'Islam ; sa musique a longtemps été interdite en Tunisie, considérée comme une forme d'opposition au système politique ; c'est seulement depuis la chute du régime Ben Ali que cette culture s'est émancipée. Dans Rayahzone, les musiques sont aussi inspirées des nombreuses croyances, des extraits du Coran et des hagiographies. Elles donnent un souffle, une énergie pour accompagner les danseurs sur scène autour de certaines questions. Mais les deux frères créateurs du spectacle ne veulent pas sombrer dans le spiritualisme, ces "musiques visent à transmettre des sensibilités en créant ainsi un équilibre entre l'âme et le corps" explique le chorégraphe Ali Thabet.
Les frères Thabet sont fusionnels dans le spectacle mais aussi dans la vie. A 18 ans, Hèdi dût mener un combat contre un cancer des os qui lui a emporté une jambe alors qu'il aspirait à faire carrière dans le cirque et le jonglage. Son frère Ali finit ce qui a été ébauché par son cadet et entre dans le centre national des Arts du Cirque de Châlon-en-Champagne. Hèdi cesse toute activité artistique, jusqu'à la création de Ali, dix ans plus tard, une chorégraghie qu'il fait en duo avec un ami circassien, Mathurin Bolze. Le succès le ragaillardi et l'entraîne dans le projet Rayahzone.

Avec l'aide d'un producteur japonnais les frères Thabet mettent sur pied leur projet. Hèdi crée la dramaturgie construite autour de trois personnages. Il donne celui de la Folie à son frère, alors que lui même interprète la Mort, un crâne de dromadaire masquant sa figure. Mais il s'agit d'un personnage vivant et actif, époustouflant. La chorégraphie a été mise au point par Ali. Il y mêle des figures acrobatiques. Par un jeu d'équilibre, elle intègre et fait oublier les béquilles d'Hèdi. Entre eux il y a un personnage, qui apparaît comme un trait d'union, la Raison, incarnée par Lionel About, un autre circassien, qui constitue un jumeau idéal à la fratrie. A eux trois, il y a cinq jambes sur scène et un seul mouvement qui se transmet de l'un à l'autre comme si les gestes et déplacements initiés par l'un étaient achevés par les autres dans une osmose parfaite.
Le nom Rayahzone est créé à partir de deux mots, le premier, "Rayah" signifie en arabe "errance, voyage", le second "zone" vient du français et représente aussi bien la zone urbaine qu'industrielle. Belge par leur mère et Tunisien par leur père les deux chorégraphes sont restés proche de leurs racines. Par ce spectacle, ils créent un pont entre le corporel et l'immatériel, entre la sensualité et la spiritualité.
Le Théâtre de Suresnes a beaucoup investit dans ce spectacle, soutenu par son directeur Olivier Meyer après sa rencontre avec les frères Thabet. Outre les trois dates au théâtre Jean-Vilar du 19 au 21 octobre 2012, une tournée française est prévue avec seize dates à travers l'hexagone, jusqu'au 17 mai 2013.