Un peu d'amour dans un monde de brutes, si vous le voulez bien : L'Amour amoureux (L'amore innamorato) de Francesco Cavalli, un des opéras perdus du grand maître italien du XVIIe siècle, est ici évoqué par Christina Pluhar et son ensemble L'Arpeggiata, qui nous ont sélectionné une quinzaine d'airs et de moments instrumentaux choisis parmi les nombreux autres opéras de Cavalli encore existants, pour une sorte de "pastiche" amoureux. Trente années de la vie créatrice du compositeur, de L’ormindo de 1644 jusqu’à Eliogabalo de 1667, voilà de quoi rendre l'auditeur amoureux ! Un autre amoureux impénitent fut Mozart, qui jeta son dévolu sur les sœurs Weber à partir de 1778. La première élue fut Aloysia, née en 1760, puis Josepha, née en 1758 – Josepha qui lui ouvrit aussi quelques portes maçonnes –, enfin Constance, née en 1762, qu’il finit par épouser après avoir vainement tenté de harponner les deux autres, fines cantatrices de leur état. L’on sait que Constance était chanteuse, peut-être pas aussi aguerrie que les deux autres (Josepha créa le rôle de la Reine de la Nuit, quand même), mais suffisamment douée pour que Mozart lui écrivît quelques pièces dont un Solfège qui ressemble diablement à l’Et incarnatus de la Messe en ut mineur, écrit plus tard. Ces petits bijoux, dont la plupart ne sont pas bien souvent donnés – hormis l’air de La Reine et l’Et incarnatus mentionné plus haut – méritent bien la voix de Sabine Devieilhe, qu’accompagne ici l’Ensemble Pygmalion.

Amour, quand tu nous tiens.. C'est en couple pour la vie et pour la musique que Pascal Rogé et son épouse Ami Rogé ont enregistré quelques œuvres pour deux pianos et percussion, dont l'incontournable Sonate de Bartók qui fait figure de geste fondateur pour la formation, ainsi que Pulse Magnet du compositeur australien Matthew Hindson - une œuvre réjouissante, qui n’est pas sans entretenir certains liens avec les minimalistes nord-américains, mais avec un clin d’œil supplémentaire aux rythmiques venues des quatre coins du monde, qu’elles soient jazzy, ethniques ou dansantes. En complément, les Rogé nous offrent la version pour piano à quatre mains que Ravel a réalisée lui-même de son Boléro, à laquelle leurs deux compères percussionnistes des deux œuvres précédentes apportent un complément sonore librement repris de la partition d’orchestre initiale. Et c'est aussi un évident amour pour sa patrie qui entraîna Bartók - encore Bartók - à emprunter aux chants hongrois, jusques et y compris dans ses quatuors dont le Deuxième, de 1915-17, qui nous est donné par l'excellent Quatuor Modigliani. Au programme aussi le "Quatuor américain" de Dvořák qui, malgré l'incorporation de ce que le compositeur pensait être des tournures natives nord-américaines, reste un profond hommage amoureux aux accents de la Bohème et de la Moravie qui lui manquait si cruellement, après plusieurs années de séjour aux Etats-Unis.

Trois des toiles de Rothko dans la chapelle qui porte son nom

Il faut vraiment être amoureux de la peinture expressionniste abstraite pour composer une œuvre qui porte le nom d'une chapelle où sont exposées quatorze toiles en autant de nuances de noir, la Chapelle Rothko à Houston : c'est Rothko Chapel de Morton Feldman, pour chœur, alto, voix soliste et percussion. Avec les autres compositions présentées sur cet album ECM par l’altiste Kim Kashkashian, la pianiste Sarah Rothenberg et les solistes et le Chœur de Chambre de Houston, il s'agissait de célébrer le quarantième anniversaire de la construction de cette fameuse chapelle. Satie, toujours aussi moderne, ainsi que Cage avec Four² et Five, offrent aussi cette intemporalité qui sied parfaitement à Rothko. Un très subtil assemblage musical.

Et il faut vraiment être fou amoureux de la musique de Stephen Sondheim pour demander à trente-six musiciens contemporains d’écrire chacun une pièce d’après Sondheim. Il ne s’agit surtout pas d’arrangements, mais bien de compositions à part entière, des « re-imaginations » en hommage au grand bonhomme qu’est Sondheim. Certains des compositeurs sont connus, du moins de ce côté de l’Atlantique – Wynton Marsalis, Tania Leon, Mark-Anthony Turnage, Frederic Rzewski, Paul Moravec, William Bolcom et bien sûr Steve Reich –, d’autres le sont moins, ce sera donc l’occasion idéale pour les découvrir. Anthony de Mare, le commanditaire fou de Sondheim, termine son CD avec sa propre petite re-imagination…

Pourquoi ne donne-t-on pas plus souvent le somptueux recueil Cymbalum Sionium de Johann Hermann Schein, publié en 1615 ? C’est sans doute qu'il ne s'agit pas d'un ensemble cohérent de pièces de même nature, mais bien au contraire un assemblage de pièces délibérément hétéroclites que Schein destinait comme "échantillonnier" soulignant ses multiples capacités en tant que compositeur. On y trouve donc des madrigaux à cinq ou six voix, un dialogue en musique, des motets à huit voix, d’autres à double chœur ; les destinations elles-mêmes des pièces sont des plus éclectiques : Noël, Pâques, mariages, funérailles en vrac. Si Schein entendait se servir de son recueil comme carte de visite, ce fut réussi, puisqu'un an plus tard il était nommé Kantor de Saint-Thomas de Leipzig. L’ensemble Musica Fiata fait des merveilles de ces merveilles.

Trois siècles plus tard, deux musiciens se saisirent d'œuvres écrites un siècle avant eux : Max Reger et Anton Webern, qui orchestrèrent nombre de Lieder de Schubert. Le ténor Christian Elsner nous chante, avec accompagnement d'orchestre, ces pièces pourtant si intimement liées à leur habituelle sonorité du piano, sous une lumière radicalement différente. Et, chose singulière, l’aspect presque wagnérien de nombre de passages chez Schubert saute soudain aux oreilles, caché qu'il était derrière le simple piano… A moins que ce ne soit les vertus schubertiennes que l'on saisit soudain chez Wagner ? Allez savoir.