La semaine de nouveautés commence bien : «&nbspTechni-quement stupéfiant, on s'en doute. Dans cette nouvelle gravure prise sur le vif, Mullova confirme que, tout en ayant encore magnifié sa maîtrise instrumentale, elle a découvert la liberté et développé son propre imaginaire. Avec une totale aisance, exploitant pleinement la lumineuse sonorité de son Stradivarius, Viktoria Mullova y démontre, une fois encore sur scène, lyrisme, virtuosité et ingéniosité. » Voilà ce qu’écrit Jean-Michel Molkhou dans Diapason de septembre 2015. Mentionnons qu’après le deuxième Concerto, Mullova se joint à l’excellent Tedi Papavrami pour nous donner la rare Sonate pour deux violons créée en 1932, puis revient en solo avec l’intrigante Sonate pour violon solo de 1947 – l’ultime Prokofiev donc – pour servir de pièce de travail à de jeunes solistes talentueux. Qui devaient la jouer à plusieurs, à l’unisson ! Un bel unisson - musical, s'entend - est celui qui unit la violoniste Isabelle Faust et le pianiste Alexander Melnikov (qui joue sur un Bösendorfer de 1875) dans les deux dernières sonates de Brahms, de l'époque des grands chefs-d’œuvre de l’ultime confidence. Et pourtant, les solistes ne se ruent pas pour les donner en concert ni les enregistrer… Trop intimes, pas assez virtuoses ? En plus des Sonates de Brahms, nos deux solistes s’attaquent aux trois Romances de Schumann, initialement conçues pour hautbois et piano mais tout aussi souvent données au violon. C’est surtout pour le dernier opus que le présent album se singularise : la célèbre Sonate F-A-E, co-signée Albert Dietrich (premier mouvement), Schumann (Intermezzo et Finale) et Brahms (troisième mouvement, Allegro). Dietrich est le grand méconnu ; élève puis ami de Schumann, on ne le connaît de nos jours que pour sa participation dans la sonate en question. A l’auditeur de se faire sa propre opinion : Dietrich, si bien défendu par Isabelle Faust et Alexander Melikov, ne mérite-t-il pas mieux que ce tragique oubli dans lequel il est tombé ?

Brahms encore, Brahms toujours, avec un brin de tristesse puisque le tout dernier enregistrement réalisé par le Quatuor Artemis fut, pour son altiste, l'adieu à la vie - le fougueux et génial Friedemann Weigle devait s'éteindre peu après. Il est hélas tentant de se demander combien, le musicien se sachant lourdement malade depuis longtemps, les quatre compères n’ont pas insufflé dans cette lecture des premier et troisième quatuors de Brahms une flamme vitale urgente, irrésistible, d’une débordante puissance tout à fait rare dans les habituels enregistrements de ces œuvres que l’on entend trop souvent comme des quatuors un peu « secondaires » dans le répertoire romantique. Et qui dit romantique ne peut pas passer sous silence le plus romantique des compositeurs français, Hector Berlioz, dans le plus romantique et ravageur de ses ouvrages, le binôme normalement indissociable que son la Symphonie fantastique suivie de Lélio ou le Retour à la vie . La Symphonie, tout le monde connaît, elle appartient à l'incontournable répertoire orchestral planétaire. Par contre, Lélio et son format hybride - six parties très éclectiques, reliées par un ample monologue ici narré par l'inénarrable Gérard Depardieu - n'a jamais vraiment connu le succès. Mais avec deux titans de la trempe de Riccardo Muti et Gérard Depardieu, Lélio - précédé d'une absolument fantastique Fantastique - retourne vraiment à la vie.

Enescu en juin 1954, juste avant de commencer sa Symphonie de chambre - et onze mois avant de s'éteindre

Deuuuuuuux Orphées et deux Eurydices pour le prix d'un Orfeo ed Euridice ! C'est ce que nous offre Laurence Equilbey dans son tout beau tout neuf enregistrement de l'opéra de Gluck. On y trouvera, naturellement, la version originale et viennoise (1762) de l'opéra, chanté en italien - avec en vedette Franco Fagioli, sans doute le contre-ténor actuel doué la voix la plus proche de celle des castrats d’autrefois : tessiture très étendue, technique très belcantiste, ainsi qu'une incroyable vélocité dans les colorature. Mais comme Equilbey et son orchestre Insula avaient donné peu auparavant une version alliant des airs et ensembles des versions de Vienne et de Paris (1774), elle a décidé de proposer dans l'album, en plus de l'intégrale de la version de Vienne, une sorte de "best of" des deux conceptions, qu'elle appelle tout simplement Orpheo. Deux Orphées pour le prix d'un... Par contre, vous ne trouverez dans l'Anacréon de Rameau qu'un seul Anacréon, même s'il en existe deux - deux ouvrages du même titre et du même compositeur, mais totalement différents ! L'un assez connu, sous forme d'un acte de ballet créé en 1757, la troisième "entrée" (le troisième acte, en quelque sorte) aux Surprises de l'Amour ; et le présent acte de ballet héroïque de 1754, donné dans le cadre des spectacles montés lors du traditionnel séjour automnal de Louis XV au château de Fontainebleau, et dont l'intrigue est différente. Anacréon de 1754 ne nous est parvenu que sous forme de divers fragments manuscrits disséminés dans diverses bibliothèques. L’autographe est perdu, il a donc fallu reconstituer toute la partition à partir de tous ces documents ; et miracle, voici la première discographique mondiale de l’ouvrage.

A force de ne jouer d’Enescu que les deux Rhapsodies roumaines, on en oublie qu’il a, par exemple, composé rien moins que cinq symphonies ! Mais les Quatrième et Cinquième restèrent inachevées. Inachevées certes, mais suffisamment définies musicalement pour supporter d’être « finies » tout en restant bel et bien du Enescu. La Quatrième, ici présentée en première discographique mondiale, date de 1934. La musique intégrale fut complétée par le compositeur lui-même – le premier mouvement y compris l’orchestration, –, le reste se présente sous forme de « particell » intégral, avec indications d’orchestrations, de dynamiques et détails en tout genre. C’est l’actuel doyen des compositeurs roumains et grand spécialiste d’Enescu, Pascal Bentoiu, qui a pris sur lui de préparer une partition achevée des deux dernières symphonies. Le présent enregistrement offre la Quatrième, et se poursuit par la Symphonie de chambre pour douze instrumentistes Op. 33, commencée en juillet 1954 à Paris – un ouvrage de l’ultime Enescu donc, et lorsque l’on dit « écrit », en vérité, il en dicta les dernières pages à Marcel Mihalovici. Loin de l’avant-garde naissante, Enescu préfère développer son propre modernisme, à la limite de la tonalité, et dans un idiome très franchement « parisien » que n’aurait pas renié un Poulenc, par exemple. À la baguette, l’on découvre Peter Ruzicka, qui en plus de ses activités de chef d’orchestre et de compositeur est également le Directeur général du Festival de Salzbourg. Et puisque l'on parle de Poulenc, parons-en, justement ! Les deux grands solistes québécois que sont Louis Lortie et Hélène Mercier nous donnent leur version du Concerto pour piano, du Concerto pour deux pianos, d'Aubade, de la Sonate pour quatre mains, de l’Embarquement pour Cythère, des œuvres de la veine plus « légère », galante, plus aimable de Poulenc, avec quelques tendres incursions dans la farce et la clownerie – qu’il ne convient pas de prendre trop à la lettre. Disons qu’il convient de rester sérieusement facétieux, et drôlement sérieux à la fois, afin d’éviter la sentimentalité ou le guignol. Quant aux quelques passages qui préfigurent les Dialogues des carmélites, ils sont déclamés avec le recueillement qu’ils exigent. Lortie et Mercier font œuvre de finesse, et les clins d’œil restent toujours dans la plus grande élégance