Il fut un temps où commencer un concert symphonique par une ouverture était la norme. Une norme certes non codifiée, mais l'usage avait en quelque sorte consacré cette bonne habitude devenue complètement obsolète aujourd'hui. L'audition d'une ouverture était une sorte de mise en bouche pour les musiciens comme pour le public et on ne peut que regretter cette tradition perdue, non sous l'effet d'un passéisme désuet, mais tout simplement parce qu'elle prive le mélomane d'un large pan du répertoire. En effet, les ouvertures d'opéra (photo ci-dessus : Rideau du Palais Garnier à Paris) ou de concert, sont des morceaux à part entière dont la brièveté exige une grande concision d'écriture et une condensation de l'expression. Que de chefs-d??uvre sont ainsi sacrifiés à l'horaire des concerts d'aujourd'hui, souvent plus courts que par le passé, pour cause de contraintes de transports ou, croit-on naïvement, pour ne pas lasser le public.

Les disques ont heureusement perpétué cette habitude et on ne compte plus les anthologies « d'ouvertures célèbres » que se devait d'enregistrer chaque chef d'orchestre de Toscanini à Riccardo Chailly, en passant par Ansermet, Dorati, Giulini, Karajan, Solti et la liste pourrait s'allonger très longtemps.

Si une ouverture n'est pas une forme musicale proprement dite, elle s'est d'abord constituée comme le simple prélude d'un ballet ou d'un opéra, elle prendra avec le temps un importance sans cesse grandissante, qu'elle soit « à la française » ou « à l'italienne ».

C'est probablement la Toccata d'entrée de l'Orfeo de Claudio Monteverdi qui constitue le modèle d'une ouverture d'opéra. Elle crée d'emblée une tension et est comme un appel à ouvrir toutes grandes nos oreilles pour découvrir le spectacle, généralement le drame, qui va se dérouler sous nos yeux. C'est un peu le « générique » de nos films actuels, sauf qu'il est sonore et non visuel.

Après cet embryon qu'est le début de l'opéra monteverdien, l'ouverture va s'émanciper et gagner en substance avec le temps. C'est avec Gluck et Mozart, à la fin du XVIIIème siècle, que l'ouverture va vraiment trouver ses lettres de noblesses. Alceste, Orphée, Idoménée, L'Enlèvement au Sérail, Les Noces de Figaro, Don Giovanni, Cosi fan tutte, La Flûte enchantée, La Clémence de Titus sont autant de chefs-d??uvre qui se suffisent totalement à eux- mêmes. Haydn emboîte le pas à son célèbre ami pour ses propres opéras présentés à Estheráza. La Fedelta premiata, par exemple, débute par une tonitruante sonnerie de chasse qu'il emprunte à sa Symphonie no 73 dont il reprend in extenso le finale en guise d'ouverture, car c'est souvent la forme sonate qui constitue un tel morceau.

Weber et Beethoven vont ouvrir le nouveau siècle en composant des ouvertures d'une grande envergure et d'une réelle puissance dramatique. Euryanthe, Obéron, le Freischütz pour le premier, Egmont, Coriolan, les quatre ouvertures de Léonore-Fidelio pour le second. Héritier des deux compositeurs, Hector Berlioz écrit des ouvertures flamboyantes pour Benvenuto Cellini, Le Corsaire, Béatrice et Bénédict, les Francs-juges ou le Carnaval romain.

Mais l'ouverture n'est pas l'apanage exclusif de l'opéra, du ballet ou de la musique de scène, elle devient aussi une pièce de concert et dans ce domaine aussi les chefs-d??uvre pullulent. Mendelssohn est particulièrement prolixe dans ce domaine et laisse des ouvertures qui sont des petits miracles de composition comme Le Songe d'une nuit d'été, écrit à 17 ans, Les Hébrides (La Grotte de Fingal) qui décrit l'émerveillement ressenti par le compositeur en découvrant cette île d'Ecosse sculptée par l'eau et les vents depuis des millions d'années. La Belle Mélusine, Ruy Blas sont autant de réussites que le concert pourrait consacrer plus souvent. En mettant en musique Manfred, le drame de Lord Byron, Robert Schumann trouve un personnage en accord avec sa propre nature exaltée avec ce héros maudit, condamné à errer dans les Alpes jusqu'à ce que mort s'ensuive. Brahms compose deux ouvertures en miroir ; celle qui rit, Ouverture pour une fête académique et celle qui pleure, Ouverture tragique qui est un vrai mouvement de symphonie.

L'Opéra italien nous laisse une grande quantité de préludes et d'ouvertures signés de Bellini (Norma), Rossini et, bien sûr, Verdi passé maître en la matière, souvenons-nous du prélude de la Traviata ou de la saisissante ouverture de La Force de destin. Les ouvertures de Wagner sont des pièces symphoniques qui sont restées au répertoire des orchestres et il n'est pas rare d'entendre Rienzi, Le Vaisseau-Fantôme, Les Maîtres-Chanteurs ou Tannhäuser.

Quelquefois c'est l'ouverture seule qui a sauvé un ouvrage de l'oubli. C'est le cas de certaines opérettes de Lehar, de Franz von Suppé et de ce véritable bijou qu'est l'ouverture de Donna Diana, seule ?uvre encore connue d'Emil Nikolaus von Reznicek. Elle eut son heure de gloire en étant au programme de très nombreux concerts au début du XXe siècle avant de sombrer dans un oubli profond. Petit à petit, le poème symphonique va prendre le pas sur l'ouverture en permettant un développement plus vaste, mais de nombreux compositeurs resteront fidèles à cette habitude, jusqu'à Leonard Bernstein dont l'ouverture de Candide est un pastiche aussi drôle que réussi.

La traditionnelle programmation ouverture-concerto-symphonie appartient désormais au passé, mais rien ne vous empêche de concocter des programmes fictifs sur votre Qobuz en créant vous-même votre playlist sur laquelle vous pourrez écoutez Carmen ou la Traviata tout en découvrant des ouvertures beaucoup plus rares comme Namensfeier de Beethoven ou encore Genoveva de Schumann. Avis aux curieux...

Classique : François Hudry 30/10/2013 par qobuz.com