Voilà donc le couronnement parisien très attendu de cette année Wagner : le Ring présenté en quatre jours, à Bastille (photo ONP ci-dessus), sous la direction de Philippe Jordan. On ne s'arrache pas les billets puisqu'il reste des places disponibles, dans toutes les catégories, pour les quatre "Journées". Il faut dire que les quatre opéras ont été présentés tout au long de cette saison du bicentenaire que le Festival Ring vient clore tel un splendide bouquet final. Le 18 juin ce sera le prologue, L'Or du Rhin, puis suivront le lendemain La Walkyrie, Siegfried le 23 et Le Crépuscule des dieux le 26.

On a beaucoup glosé à propos de la mise en scène de Günter Krämer présentée dès 2010 sur la vaste scène de la Bastille. Si la vision du metteur en scène allemand a évolué, il n'a toutefois rien changé de fondamental pour la production de ce Ring intégral, une reprise dirigée par ses excellents assistants, à l'exception de La Walkyrie qu'il a souhaité remonter lui-même en raison d'un important changement de distribution. De sa longue fréquentation du chef-d??uvre de Wagner qu'il avait déjà monté à Hambourg en 1992-1993, Günter Krämer avoue ressentir de plus en plus le "ridicule", le côté mesquin, dit-il, miteux dans lequel tombe toujours finalement l?idéal de grandeur quand il veut se réaliser. Il ne s?agit plus de montrer la beauté de la destruction, mais de montrer la destruction de la beauté elle-même, l?impossibilité de se tenir sur les cimes du grandiose wagnérien : échec dont Wagner a fait l?expérience lui-même. En montant son Ring à Bayreuth, il a caché l?orchestre ; mais finalement, il aurait bien volontiers caché la scène aussi, tellement tout ce grandiose devenait ridicule une fois traduit concrètement !

Mais le héros de cette production parisienne est le jeune et talentueux chef-d'orchestre Philippe Jordan (photo ONP ci-dessus), dont la conception n'a cessé d'évoluer et de se densifier depuis trois ans, ainsi qu'il l'explique lui-même : il est extrêmement touchant pour moi de voir la façon dont ma relation avec l'orchestre s'est développée, comment nous sommes rentrés de plus en plus dans la sonorité et le style de cette musique, puis comment nous avons laissé le cycle pour le reprendre deux ans plus tard avec les mêmes musiciens, ayant moi-même été modifié par mon passage à Bayreuth l'été dernier. Je suis ému, lorsque j'observe la complicité entre les musiciens et les chanteurs, quand je les vois se passer les textes... Il y a désormais dans notre travail comme une évidence naturelle. Et c'est sur ces bases, sur cette évidence naturelle, que l'on peut construire pour aller plus loin.

En attendant un enregistrement de Philippe Jordan, voici quelques pistes pour préparer cet événement, des enregistrements de légende comme des versions récentes que vous pourrez savourer sans aucune retenue sur votre Qobuz.

Au chapitre des glorieux anciens, il faut évidemment se plonger dans le Ring enregistré au début de la stéréophonie (1958-1964) sous la direction énergique et épique de Sir Georg Solti, avec les plus grands chanteurs wagnériens de cette époque : London, Nilsson, Windgassen, Hotter, Crespin, King et autres. Il s'agit de la première Tétralogie enregistrée au studio avec une prise de son absolument fabuleuse de DECCA qui n'a pas pris une ride. Si les presque quinze heures de musique vous font un peu peur, commencez par en savourer quelques extraits soigneusement compilés. Quelques années plus tard, c'est la DGG et Herbert von Karajan qui vont faire sensation dans des options bien différentes ; des chanteurs d'une nouvelle génération et un orchestre d'une extraordinaire fluidité. Karl Böhm enregistre à son tour une Tétralogie mémorable pour PHILIPS, avec des chanteurs quelquefois un peu fatigués mais qui représentent l'apogée du chant wagnérien au XXème siècle.

Depuis ces enregistrements de studio on a découvert des versions enregistrées en scène par Joseph Keilberth, Clemens Krauss, Rudolf Kempe qui ont toutes de grands mérites, mais qui sont destinées avant tout aux wagnériens patentés. Quant à la légendaire production de Bayreuth signée de Boulez et Chéreau, elle est désormais disponible elle aussi dans sa version audio exclusive.

Parmi les dernières versions en date, signalons celle enregistrée live entre 2008 et 2010, à l'Opéra de Hambourg, sous la direction sans cesse intéressante et raffinée de la cheffe d'orchestre australienne Simone Young (photo ci-dessus), avec une distribution remarquable prouvant, s'il en était besoin, qu'il existe aujourd'hui comme hier de grands chanteurs wagnériens. Le style a certes changé, l'ampleur des voix n'est plus la même, mais cette évolution rend peut-être ces personnages de légende plus proches de nos propres existences.

François Hudry : 12 juin 2013 par qobuz.com