On raconte que c'est en apprenant la mort d'Edith Piaf, le 11 octobre 1963, que Jean Cocteau s'écroula devant des journalistes venus l'interroger. L'histoire est à peu près vraie, à ceci près que le poète reçut le téléphone d'un journaliste lui demandant d'écrire un hommage à Edith Piaf. Jean Marais raconte qu'une demie heure plus tard, Cocteau était brutalement emporté par un ?dème pulmonaire sans qu'on puisse vraiment prouver qu'il y ait eu un rapport de cause à effet entre l'émotion ressentie et la mort qui a suivi, mais cette mort romanesque convient parfaitement au personnage public qu'il était.   Que reste-t-il de Jean Cocteau cinquante ans après sa disparition ? D'autres que nous évoqueront, avec un rien de mépris, l'artiste touche-à- tout qu'on ne peut pas fourrer dans une case précise, d'autres souligneront sa valeur de poète, d'écrivain, de poète graphique, d'orateur, de polémiste, mais nous dirons pour notre part que l'art musical lui doit beaucoup. Jean Cocteau possédait tous les talents hormis pourtant celui de la musique. Conscient de ce manque, il aimait dire avec humour que le clavier d'un piano ressemblait à une mâchoire de requin prête à mordre. A l'époque lointaine du cabaret le B?uf sur le toit, il s'essayait sans grand succès au jazz naissant, en tapant sur une batterie prêtée par son ami Stravinsky. Mais la musique et les musiciens ont hanté et habité sa vie entière depuis la création de Parade jusqu'à la mort d'Edith Piaf.

Le Groupe des Six (photo ci-dessus, de gauche à droite : assis Jean Cocteau, debout Milhaud, Auric, Honegger, Tailleferre, Poulenc et Durey) s'est véritablement cristallisé sous l'autorité, et la notoriété, de Jean Cocteau qui est en est devenu le porte-parole, aux côté d'Erik Satie dont le non-conformisme musical était un modèle pour les jeunes compositeurs de l'époque, Francis Poulenc, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Germaine Tailleferre, Georges Auric et Louis Durey pour les Six, sans oublier, un peu plus tard, les musiciens de l'Ecole d'Arcueil, Henri Cliquet-Pleyel, Roger Désormière, Maxime Jacob et Henri Sauguet, cénacle réuni avec dévotion autour d'un Satie vieillissant et déçu par les chemins pris par les Six. Là encore Jean Cocteau va habilement orchestrer leur publicité à grands renforts d'article de presse.

Mais on doit aussi a Jean Cocteau une véritable collaboration littéraire avec des musiciens. Dans leur ouvrage consacré à ce sujet, David Gullentops et Malou Haine (Jean Cocteau, textes et musique, Ed. Mardaga) ont recensé plus de 600 textes du poète mis en musique depuis le début du XXème siècle jusqu'à Philippe Glass, Hans-Werner Henze, Claude Nougaro et Martial Solal.

Il y a bien sûr les ?uvres importantes où la collaboration est directe entre les auteurs, à commencer par l'aventure du ballet Parade, d'Erik Satie sur un argument de Cocteau et des décors de Picasso. Le chef d'orchestre Ernest Ansermet a raconté plus tard comment il devait se baisser pour ne pas recevoir les grosses oranges de Valence lancées par le public furieux. Mais c'est en 1912 déjà que Cocteau collabore à une ?uvre musicale avec Le Dieu bleu, ballet de Reynaldo Hahn avec des décors et costumes de Léon Bakst. Puis, en 1918, l'euphorie de la paix va engendrer une incroyable fièvre créatrice à Paris et les ?uvres vont se succéder à un rythme soutenu. Souvent Cocteau sera de la partie. Les Mariés de la Tour Eiffel, seule ?uvre commune des Six (sans Louis Durey), Antigone, chef d'oeuvre solitaire d'Arthur Honegger qui n'a jamais été vraiment compris et dont, curieusement, il n'existe pas d'enregistrement aujourd'hui, Les Biches, La Voix humaine et La Dame de Monte-Carlo de Francis Poulenc, Oedipus Rex d'Igor Stravinsky, Le Pauvre Matelot de Darius Milhaud pour n'en citer que quelques-uns.

Jean Cocteau était sur tous les fronts. On le voyait partout et pourtant il travaillait sans relâche à son ?uvre littéraire, ses films, ses dessins, ses articles. Cocteau est une des premières vedettes du "Tout Paris" artistique à faire la une des journaux. On ne disait alors ni « star », ni « people ». Ce feu d'artifice permanent s'est éteint il y a tout juste cinquante ans. Il y avait du Voltaire chez cet homme qui pourtant préférait Rousseau, car il savait, lui-aussi, rajeunir les mythes grecs et possédait un esprit sans cesse en éveil, un talent de polémiste, d'orateur et d'épistolier. Les multiples cordes de son arc créateur et son formidable sens de la communication ont irrigué, au grand jour comme par des voies plus souterraines, la création artistique française pendant cinquante ans.

Classique : François Hudry du 25/09/2013 par qobuz.com