Voilà un immense musicien dont le talent protéiforme est égal à la modestie. Né en 1939 à Langenthal, en Suisse alémanique, il reste, pour le grand public, un des plus grands hautboïstes du monde. Sa virtuosité étourdissante a toujours été alliée à la curiosité et à la découverte des musiques du passé comme celles d'aujourd'hui, souvent écrites à son intention par les plus grands compositeurs. D'abord par son maître, Sandor Veress, puis par Berio, Frank Martin, Ferneyhough, Ligeti, Lutolawski, Stockhausen, Zimmermann, ou Elliott Carter qui a écrit pour lui son Concerto pour hautbois.

Sa carrière commence au début des années soixante, lorsqu'il enregistre pour PHILIPS l'intégrale des ?uvres pour hautbois de Tomaso Albinoni, avec l'ensemble I Musici qui était ce que l'on faisait de mieux à l'époque en matière de musique baroque. Il continue en gravant les ?uvres de Mozart, Telemann et bien d'autres, en découvrant au passage des compositeurs complètement oubliés comme les Concertos pour hautbois de Ludwig August Lebrun, un des plus grands hautboïstes du XVIIIème siècle qui faisait partie du prestigieux orchestre de Mannheim. La découverte des Sonates en trio de Jan Dismas Zelenka fut aussi une grande révélation.

Mais ce n'est là qu'un des aspects de ce diable de musicien. Au fil du temps et de sa propre évolution, Heinz Holliger est devenu un des grands compositeurs de notre temps et aussi un des plus originaux. Après avoir suivi les cours de composition de Pierre Boulez à Bâle, le musicien suisse a bâti dans l'ombre une ?uvre importante et variée qui a commencé à émerger pour le public dans les années quatre-vingt. Il reçoit alors des prix prestigieux dans le monde entier et, particulièrement en Italie, où le Prix Abbiati lui est décerné par la Biennale de Venise en 1995, pour une de ses ?uvres essentielles, Scardanelli-Zyklus. C'est une cycle immense qui totalise deux heures trente d'une musique à la fois savante, mystérieuse et raffinée écrite d'après Hölderlin. On y trouve divers modes de jeu, d'étranges instruments (l'eau qui coule!) et une grande liberté laissée aux instrumentistes et aux chanteurs. Le langage oscille entre la poésie et l'hallucination.

Passionné par la folie qui s'est emparée de plusieurs artistes (Hölderlin, Robert Walser, Schumann, Louis Soutter) il écrit en 1997 un opéra (livret et musique) d'après Robert Walser, Schneewittchen (Blanche-Neige) pour l'Opéra de Zurich. Son catalogue couvre tous les genres, de la scène aux oeuvres pour solistes en passant bien sûr par son instrument ou celui de son épouse Ursula, excellente harpiste.

Mais ce portrait serait incomplet si l'on insistait pas sur une autre de ses activités dans laquelle il excelle également, celle de chef-d'orchestre. Un chef-d'orchestre un peu atypique, à la fois par sa gestique instinctive et par son répertoire, car Heinz Holliger ne choisit que de la musique proche de ses préoccupations esthétiques et métaphysiques. Une de ses dernières découvertes ? La musique de Charles Koechlin, cet admirable compositeur systématiquement boudé en France. De Koechlin, Holliger veut tout exhumer, tout enregistrer, tant il trouve cette musique originale. Parmi les dernières publications marquantes de ce hautboïste-compositeur-chef-d'orchestre, citons une version pleine de poésie vénéneuse de la Nuit transfigurée (Verklärte Nacht) de Schoenberg avec un Orchestre de Chambre de Lausanne au mieux de sa forme et l'intégrale en cours des ?uvres symphoniques de Robert Schumann, dont le premier volume, publié cette semaine, est tout à fait passionnant, puisqu'il fait entendre la version originale de ce qui viendra plus tard la Symphonie no 4. C'est cette version que Brahms aimait tant et qui a failli lui coûter son amitié avec Clara Schumann qui ne voulait pas l'éditer. Moins formatée que la version définitive, cette version princeps possède une joie, une audace, une légèreté, une originalité qui ont toujours séduit Heinz Holliger qui l'avait depuis longtemps mise au répertoire de ses concerts. L'Orchestre Symphonique de la WDR de Cologne répond à ses moindres sollicitations avec beaucoup de brio et de panache. Vivement le Volume 2...

Playlist Semaine 42 par francoisdesaumur