A la découverte de Théodore Gouvy (1819-1898)

Voilà une vingtaine d'années que le nom de Louis Théodore Gouvy a commencé à sortir peu à peu des limbes de l'oubli. C'est en 1992 que l'excellent duo de piano allemand Yaara Tal & Andreas Groethuysen enregistrait trois Sonates pour piano à 4 mains, ce disque (SONY CLASSICAL), aujourd'hui introuvable, révélait d'emblée une musique romantique d'une rare densité expressive écrite par une très grande personnalité. Le fait que ce compositeur complètement oublié soit choisi par des musiciens allemands est un juste retour des choses, puisque sa Sarre natale a toujours été à la croisée géographique et historique de la France et de l'Allemagne. Louis Théodore Gouvy naît à Goffontaine, situé aujourd'hui dans un quartier de la ville de Sarrebrück en Allemagne. Sa famille est française, mais le fait d'être né en 1819, quatre années après le bataille de Waterloo, fait de lui un prussien, alors que ses frères aînés sont français. Les aléas de l'histoire vont le ballotter longtemps entre deux nationalités. Ne rêvant que de musique avec la volonté déterminée de devenir compositeur, Théodore passe d'abord son bac de philosophie à Metz, puis, sous la pression familiale, va étudier le droit à Paris. Mais son amour pour la musique triomphe vite de l'autorité maternelle et le jeune homme commence à étudier la musique en privé, sans pouvoir entrer au Conservatoire qui lui est interdit en raison de sa nationalité prussienne. Possédant deux cultures et deux langues, Gouvy va travailler ensuite en Allemagne et voyage beaucoup, ce qui lui permet de rencontrer les musiciens éminents de son époque, Mendelssohn, Liszt, Rossini, Spohr et Brahms. A l'âge de 32 ans il devient enfin Français et s'installe en Lorraine, à Hombourg-Haut chez son frère, maître de forges car la famille Gouvy appartient depuis longtemps à l'aristocratie métallurgique de la région et possède des forges disséminées autour de son fief. Il compose beaucoup et laisse un catalogue fort de presque 100 opus abordant tous les genres. Complètement intégré à la vie musicale de son temps, il est joué par les plus grands musiciens contemporains et laisse une abondante correspondance. Sa réputation grandit peu à peu et sa musique est appréciée, notamment par Hector Berlioz, qui a pourtant la dent dure, et qui écrit dans le Journal des Débats :

« Qu'un musicien de l'importance de M. Gouvy soit encore si peu connu à Paris, et que tant de moucherons importunent le public de leur obstiné bourdonnement, c'est de quoi confondre et indigner les esprits naïfs qui croient encore à la raison et à la justice de nos mœurs musicales. »

Consacré Maître parmi les compositeurs français, il est placé par ses pairs au même rang que Gounod. Les plus grandes distinctions lui sont décernées, Prix Chartier, Légion d'Honneur, membre du comité et du jury de la Société des Compositeurs élu par toute la corporation, membre du Comité de la Société Nationale de Musique. Ses nominations comme Membre Correspondant de l'Institut de France et de Membre de l'Académie de Berlin couronnent sa carrière. Puis c'est un oubli profond et durable qui suit sa mort, survenue en 1898 à Leipzig. Son corps est ramené en France et enterré à Hombourg-Haut. C'est dans cette ville que sa renaissance a lieu depuis quelques années, grâce à quelques musiciens éclairés et à la municipalité qui ont créé un festival et fait renaître peu à peu cette figure oubliée de Lorraine jusqu'à la création d'un Institut Théodore Gouvy, situé dans les lieux même où sa musique a vu le jour et où son auteur a vécu une grande partie de sa vie (photo ci-dessus). De nombreux disques, publiés en majeure partie par le label K. 617 lèvent peu à peu le voile sur un musicien de première importance que le grand public commence à connaître. En consacrant, en 2013, une importante programmation des oeuvres de Théodore Gouvy sur plus d'un mois (Festival Théodore Gouvy, entre France et Allemagne), la Fondation Bru Zane a largement contribué à installer le compositeur lorrain sur les rails de la postérité.

Une postérité tout à fait méritée compte tenu de la qualité d'une musique dont on se demande pourquoi elle a pu être oubliée si longtemps. Dernier disque en date à écouter sans tarder, le Quintette à deux violoncelles no 6 et le Trio avec piano no 2, opus 18. Idéalement interprétée par le Quintette Denis Clavier, ce Quintette en la mineur date de 1880 est d'une pureté classique mais d'une expression romantique rêveuse absolument sublime. C'est un véritable chef-d'œuvre qui vient d'être mis à jour. Quant au Trio no 2, avec Anaël Bonnet au piano, c'est une œuvre antérieure et encore frémissante du souvenir de Mendelssohn avec une clarté de touche ensoleillée. Echo du Festival de la Fondation Bru Zane, un album monographique vient de paraître avec Christian Arming, le nouveau chef de l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège. On y découvre des oeuvres symphoniques (Sinfonietta et Fantaisie pastorale pour violon et orchestre), ainsi que des pièces de musique de chambre montrant un compositeur au sommet de son art.

On découvrira aussi avec intérêt la Cantate Oedipe à Colonne sous la direction de Joachim Fontaine, les Trios avec piano par le trio Voces Intimae, la musique pour 2 pianos par Laurent Martin & Carole Dubois.

Parmi les oeuvres fortes de Gouvy à découvrir absolument, il y a son Requiem, révélé en 1994 par Jacques Houtman à la tête de la Philharmonie de Lorraine. La musique de Théodore Gouvy n'a pas encore été totalement exhumée, mais les publications se succèdent à bon rythme comme l'intégrale des Symphonies sous la direction de Jacques Mercier. Six Symphonies françaises du 19e siècle révélées au 21e, voilà les merveilles d'une industrie du disque qu'on dit moribonde. Pour ce qui est de la documentation sur Théodore Gouvy, s'il existe les travaux universitaires forcément confidentiels de René Auclair et de Martin Kaltenecker, on attend maintenant une biographie de référence qui nous aiderait à la fois à mieux connaître ce compositeur et à comprendre, peut-être, pourquoi une telle musique a pu sombrer dans les affres de l'oubli.