Un an après être devenue la première femme césarisée pour une musique de film (pour « À plein temps » d’Eric Gravel), la productrice française Irène Drésel nous parle de son nouvel album « Rose Fluo », une ode électronique aux festivals d’été.

Qu’est-ce que ça change de recevoir un César ?

C’est sûr que ça ouvre des portes. J’ai rencontré pas mal de réalisateurs, réalisatrices pour d’autres projets à venir. Je n’ai jamais voulu faire de la musique pour des films mais ça m’est tombé dessus avec A plein temps, et ça ouvre un nouvel univers.

L’album est, lui, complètement dancefloor et démarre pied au plancher avec un morceau de neuf minutes. C’était une volonté de marquer le coup ?

Oui, c’était pour annoncer la couleur dès le premier morceau. Je n’avais pas envie de commencer par un morceau typique d’intro super lent. Non, non, le titre de l’album, c’est Rose Fluo, donc je voulais quelque chose d’assez fort dès le début.

Le titre, c’est un concept aussi ?

Le rose, c’est ma couleur préférée. La rose, c’est la fleur qui m’accompagne partout, c’est mon identité scénographique. Je me suis dit : je vais l’appeler Rose fluo. C’est une fulgurance qui m’est venue il y a déjà deux ans, bien avant le phénomène Barbie. (Sourire.)

Tu décris ta musique comme un mélange de puissance et de délicatesse. Qu’est-ce qui vient avant ? La puissance que tu adoucis ou l’inverse ?

Ça dépend complètement des morceaux. La puissance que j’adoucis… Ou ça peut être l’inverse aussi. (Elle hésite.) Non, les deux viennent en même temps. Je ne sais pas, en fait. Chaque morceau est vraiment composé de manière indépendante.

Et tu es une compositrice du matin ou de la nuit ?

Ça dépend des périodes. Pas trop la nuit, plutôt en journée. Mais ça peut mordre un peu sur la soirée, mais pas au-delà de 1h ou 2h du matin. Je ne compose pas à 4h ou 5h, jamais, jamais. Je me mets au travail et puis ça vient ou ça vient pas. Parfois, il y a des journées qui mènent à rien parce qu’il n’y a rien d’intéressant qui est sorti.

C’est comme les écrivains, c’est important de composer tous les jours ?

C’est mieux de composer tous les jours, mais c’est loin d’être le cas. Je suis encore trop prise par plein d’à-côtés. Peut-être un jour.

Est-ce que tu as en tête la destination du titre quand tu le composes ?

Quand je compose, je pense beaucoup aux festivals d’été, sous chapiteau. C’est ce que je préfère. Par exemple, on va jouer à Dour, typiquement, je pense à ça, à ce genre d’ambiance où tu es avec tous tes copains et tu pars. C’est l’été, il fait 30 ou 35 degrés et tu vas écouter de la techno.

C’est la sensation qui te reste de tes débuts dans la fête électronique ?

Oui, je suis allée sur de nombreux festivals et mes premiers souvenirs de fête techno, c’était l’été. C’est sûrement lié à ça aussi.

Est-ce que tu gardes le côté cérémoniel de tes live en studio ? Il y a des fleurs aussi dans ton studio ?

Oui, il y a des fleurs sur les rideaux, il y a des fleurs sur l’étagère. En fait, ce qu’il y a sur scène n’est pas très éloigné de ce qu’il y a chez moi.

Dans ta musique, en termes d’influences, on entend de la techno mélodique, de la minimale des années 2000 aussi. Tu écoutes de la musique nouvelle ou ancienne ?

Hmmmm, alors, j’écoute de la musique nouvelle en variété. Mais en techno, je pense que je suis encore dans le passé et ça doit se sentir.

Irène Drésel
Irène Drésel © Valérie Mathilde

Tu te moques aussi du format des morceaux, ils n’ont pas les intros mixables comme souvent dans les sorties de dance music.

Effectivement, mon copain qui est aux percussions avec moi sur scène m’a souvent dit que mes titres étaient durs à mixer. Mais comme je ne mixe pas moi-même, je ne suis pas DJ, je n’ai pas ces codes-là. Je ne sais pas utiliser des CDJ, mais il faudrait que je m’y mette quand même…

Savoir mixer, c’est quelque chose qui est un peu attendu de la part d’une artiste de musique électronique ?

Disons que ça arrive qu’il y ait de la confusion. L’autre jour, un type m’a demandé à la fin de mon live si j’avais joué le morceau d’Untel dans mon live. C’est parce qu’il y a beaucoup de DJ qui sont producteurs et inversement, donc je me retrouve un peu toute seule dans mon truc, mais je suis tellement lente à composer mes morceaux que si, en plus, je devais digger pour trouver d’autres morceaux…

Tu fais tout doucement mais sûrement, de manière générale ?

Ouais, c’est ça. Je suis lente, je mets un mois et demi pour faire un morceau, environ. Je le mets ensuite de côté et je le réécoute trois ou quatre mois après. Et s’il me plaît toujours, je le valide. S’il ne me plaît plus ou si ça me paraît bizarre, je le jette. Mon manager dit que je suis trop lente, mais ça m’embête parce que je n’ai pas envie qu’il y ait des choses dont je ne suis pas vraiment convaincue. Tant pis, je freine, mais c’est comme ça. Il y a des gens qui sont très rapides à produire et qui ont le temps pour ça, mais ce n’est pas mon cas.

C’est peut-être aussi une question de respect différent par rapport à la musique. Pour certains artistes, c’est un rapport utilitaire alors que pour toi, c’est peut-être plus sacré ?

C’est clair. Il faut que le morceau que je compose me transporte, il faut qu’il ait une identité. Faire de la musique pour faire de la musique, ça ne m’intéresse pas. Non, je fais de la musique comme on ferait de la peinture, comme si je faisais une nouvelle peinture à chaque fois. Donc quand je l’expose, il faut que j’en sois fière. C’est comme ça que j’arrive à savoir si c’est bien ou pas. J’oublie complètement le truc et je le rouvre plus tard. Et là, tous les défauts te sautent aux oreilles. Il y a eu des titres dont j’étais sûre que c’était cool et en fait, je réécoute deux mois après et c’est mauvais.

Irène Drésel
Irène Drésel © Valérie Mathilde

On ne t’entend toujours pas chanter sur ce disque, à part juste sur Thérèse, rapidement ?

Sur Thérèse, sur Rita, sur Bienvenue, ce sont les seuls morceaux où je chuchote.

Oui, on ne peut pas dire « chanter », vraiment.

Non, je chuchote. Je ne chanterai jamais.

Comment ça se fait ?

Chanter… Je n’ai pas de message à faire passer, donc je ne saurais même pas quoi raconter. Mettre des mots répétés comme beaucoup de morceaux techno où tu as des mots du genre « forever, never, together », ça, ce n’est pas possible. Et puis je n’ai pas une voix incroyable. Si j’avais le timbre de voix de Zaho de Sagazan, je ne dis pas, je ferais sûrement quelque chose. Par contre, j’aimerais bien un jour essayer de faire quelque chose avec une voix, mais ce ne sera sûrement pas la mienne. J’ai rencontré une artiste taïwanaise qui a une voix absolument incroyable. Il y aura peut-être des choses dans le futur soit des voix incompréhensibles, soit des trucs hyper étranges. En tout cas des voix utilisés comme des instruments.

Et pour finir, que va-t-il se passer pour toi en 2024 ? Ta date à l’Olympia le 25 mai est déjà complète.

Oui, cette année, ce sera surtout la tournée. Et il va y avoir un rosier à mon nom qui va sortir ! Ça, ça va être un bon moment. Après, on n’est pas à l’abri d’un projet surprise. Par exemple, la musique de A plein temps, j’ai dû la faire en deux mois et demi. J’ai appris ça au mois de mars, c’était livré en mai. Parfois, il y a des choses qui me viennent.