Bassiste et manager de Sabaton, Pär Sundström fait le bilan du groupe suédois spécialisé dans l’histoire militaire, qui, après « The War to End All Wars » en 2022, a sorti un nouveau single, « The First Soldier », en hommage à Albert Roche, le soldat français le plus décoré de la Première Guerre mondiale.

Le mur derrière vous est rempli de trophées en rapport avec le succès de Sabaton. Que ressentez-vous quand vous le regardez ?

Pär Sundström : Je crois pouvoir dire sans trop me tromper que c’est ce qui maintient l’inspiration à flot. C’est à la fois un totem de continuité mais aussi d’humilité. Je ne vais pas vous mentir, il y a également de la fierté.

C’est aussi ce que vous avez ressenti en arrivant sur scène au Hellfest l’an dernier ? C’était assez impressionnant !

J’y repense assez souvent ces derniers jours. Je crois que nous avons joué une vingtaine de concerts ce fameux été. Nous sommes allés au Graspop en Belgique, c’était très intense ! Mais je ne peux m’empêcher de penser qu’il y a quelque temps, nous tournions encore dans des clubs de moyenne voire petite capacité. Quand je remets tout en perspective, c’est assez dur d’y croire. Ce sentiment de nouveauté est toujours aussi agréable à éprouver. Surtout quand je repense à ce moment où nous avons joué Christmas Truce et que tout le public français s’est mis à beugler avec nous.

Vous le savez sans doute, mais le public s’était aussi amassé devant les grandes scènes pour la première de Metallica au Hellfest. Cela n’a pas dû vous faciliter la tâche.

C’est toujours plus complexe de passer avant un « gros ». Je crois qu’au Hellfest, nous avions joué avant Iron Maiden sur une précédente édition, ce n’était pas une mince affaire non plus. Je suis sûr que plein de personnes s’imaginent que ça doit « être sympa », mais quand vous n’avez pas le show optimal, ça peut vite devenir compliqué. Heureusement, chez Sabaton, nous mettons un point d’honneur à faire LE show optimal.


Même lorsque vous remplacez Manowar en 2019 avec un Joakim (chant) aphone ! Et tout le groupe qui le remplace au pied levé – bon, sauf vous !

Alors, je vous arrête tout de suite, je ne me sens pas capable de faire le « lead singer » ! (Rire.) C’est ce jour-là que je me suis rendu compte que nous avions une relation particulière avec nos fans français. Nous allions jouer à la place d’un quatuor légendaire, et nous y sommes allés absolument sans pression. Nous savions que la foule serait là pour nous porter, et c’est ce qu’il s’est passé. Je n’oublierai jamais ce témoignage de confiance de l’organisation du Hellfest, et je n’oublierai jamais le public non plus.

Cela va faire un an que vous avez sorti The War to End All Wars, comment analysez-vous cet album maintenant qu’il a eu le temps de faire un peu de chemin ?

C’est toujours un peu « dangereux » de dire qu’il s’agit du meilleur album à ce jour. Mais je le pense sincèrement. En tant que musicien, mais aussi en tant que manager. Ce que les artistes perdent en ventes « physiques » se retrouvent dans les ventes digitales et au niveau streaming. Nous voyons bien que l’album est écouté et surtout, nous notons que l’engouement en concert sur ces nouveaux titres est sans égal. Bon, l’engouement de la sortie s’est un peu tassé, mais très sincèrement, nous savions en sortant du studio que nous avions réussi à créer des titres qui perdureraient. Je le réécoute avec beaucoup de fierté, et je sais que les gars aussi. Je ne changerais rien, même si je le pouvais.


Quelle est l’origine de ce single, The First Soldier, qui parle d’Albert Roche, le soldat le plus décoré de la Première Guerre mondiale ?

Vous avez beau faire un album dont vous êtes hyper fier, il y a toujours cette idée qui vous taraude, qui vous murmure des « et si ? » mais que vous n’exploitez pas. Souvent par manque de temps. Puis un jour, une pandémie frappe, vous jouez peu de shows, le retour à la normale prend du temps mais votre inspiration, elle, ne s’arrête pas. Le gros de l’album a été mis en boîte le temps de deux sessions différentes, la seconde étant celle de la finalisation de l’album. Nous avions quand même des nouveaux titres à peaufiner mais on ne pouvait pas les enregistrer. Il fallait faire une autre session. Au même moment, cette envie de faire une tournée ayant la Première Guerre mondiale pour thème se faisait de plus en plus pressante. Donc on a décidé d’enregistrer d’autres chansons sur cette période, dont The First Soldier, et de les sortir après l’album. Il fallait simplement les garder dans le thème.


Il y a donc un autre titre qui arrivera plus tard ?

Peut-être que nous le sortirons en suivant le même procédé que The First Soldier, qui arrive en tête d’un EP centré sur la Première Guerre mondiale.

En 2023, être un bon musicien ne suffit plus. Je pense que cette ère est révolue.

Parler d’Albert Roche vous trottait dans la tête depuis quelque temps.

Nous avions besoin d’être dans un état d’esprit qui nous permettrait de composer un titre vraiment héroïque. Sans rentrer trop dans le détail, nous avons fait beaucoup de brouillons ! Albert Roche, c’était quelqu’un de franchement admirable et héroïque. Nous gardions ce sujet depuis longtemps, car nous sentions qu’il fallait être à la hauteur du personnage. Quelle vie incroyable…

Il capture 1180 soldats pendant la 1ère GM : Albert Roche ! Feat Sabaton - "The First Soldier"

Nota Bene

Une vie incroyable, mais aussi improbable. L’armée l’a refusé à cause de son gabarit, et il s’est battu toute sa vie pour devenir celui qu’il a décidé d’être. C’est très inspirant, vous vous identifiez à ce parcours j’imagine ?

Bien sûr, c’est très inspirant. Comme lui, je ne suis pas très grand déjà ! (Rire.) Mais oui, j’ai toujours voulu faire du heavy-metal ma priorité dans la vie. Il faut parfois décider de sa destinée pour la forcer à se produire, surtout quand vous faites du Sabaton, qui est commercialement très compliqué à présenter. Nous avons dû insister, énormément. Il était hors de question de faire des concessions. Nous avons travaillé plus dur encore.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur les critiques négatives des débuts ?

Je crois que c’est toujours le cas aujourd’hui pour être franc. Nous ne ressemblions pas aux « mecs cool du metal ». Cinq mecs avec des pantalons de camouflage qui font du metal en parlant de la guerre… Vous auriez pris le risque ? Bref, à un moment tout cela nous a réussi, et lorsque c’est arrivé, ce qui me revient le plus en tête, c’est la jalousie. Ce sont des attitudes dégueulasses, c’est du sabotage. Je me souviens que régulièrement, on nous pointait du doigt car on faisait chanter le public sur nos refrains : « Mais voyons, des gens ont souffert, comment osez-vous ? » Je passe sur les accusations d’extrémisme, mais c’est aussi arrivé.

Et aujourd’hui ?

J’imagine que ça continue dans une moindre mesure, mais nous y sommes peut-être moins exposés. Nous sommes plus connus, donc peut-être un peu plus protégés ? Mais, sincèrement, je tiens à redire ici que nous avons toujours été clairs sur nos intentions. Nous n’avons jamais eu la prétention d’influencer le vote ou la pensée des personnes qui écoutent Sabaton. Notre seul but, c’est de pousser les gens de s’intéresser à l’histoire. Si nous réussissons déjà cela, c’est une victoire pour moi.

C’est dans ce but que vous avez collaboré avec Nota Bene, un chaîne YouTube sur l’Histoire, pour réaliser ce clip / documentaire sur la vie d’Albert Roche ?

Nous aurions pu faire comme d’habitude, mais je crois qu’apporter une valeur ajoutée à notre travail est important. Je voulais donner plus de contexte à l’histoire d’Albert Roche, qu’il soit possible de se baigner dans sa vie, rendre la chanson plus compréhensible. Parfois, nous n’avons pas le temps de mettre tout ce que nous voulons dans les paroles de Joakim Brodén. C’était une bonne occasion de donner de la visibilité aux mots.

Pensez-vous qu’en 2023, la musique ne suffit plus et qu’il faut proposer ce type d’expérience pour vraiment accrocher l’audience ?

Je pense qu’il est devenu très compliqué de n’être seulement qu’un bon musicien en 2023. Etre un bon musicien et écrire de bonnes chansons ne suffit plus. Je pense que cette ère est révolue. Vous pouvez être des dieux de la musique, si vous vous contentez de monter sur scène sans rien de plus, je ne suis pas sûr que vous teniez le choc longtemps. Les gens veulent une histoire derrière la musique, ou un live show absolument dantesque. Ce n’est pas impossible de faire sans, mais c’est mille fois plus complexe.

Lorsque la guerre est sur le point de se terminer, Albert est très fatigué et s’endort sur le champ de bataille. Il est découvert par un bataillon de soldats, il est arrêté, accusé et condamné à mort. C’est un moment important, car malgré tout ce qu’il a accompli, c’est la première fois que nous le voyons perdre espoir. Vous avez déjà vécu un moment comme celui-ci ?

(Silence) Oui, ça me rappelle 2011 quand tout le groupe a quitté Sabaton. Sauf Joakim notre chanteur.

Ils étaient partis pour fonder un autre projet appelé Civil War, toujours en activité d’ailleurs, vous avez joué sur la même scène récemment.

J’étais vraiment très abattu à l’époque. J’ai sincèrement cru que c’était terminé. Imaginez, vous savez que c’est fini, tout ce que vous avez bâti ! Vous savez qu’il n’y a absolument rien qui pourrait arranger la situation. C’était sincèrement horrible. Je me suis effondré durant la tournée, je ne pouvais même plus marcher, j’ai dû être rapatrié du Canada à la Suède, et j’ai passé plusieurs semaines à l’hôpital. Je ne savais pas où nous allions, je n’arrivais plus à « gérer », et ce manque de vision m’a franchement terrifié. Tout semblait irréparable. L’histoire m’a donné tort, nous sommes réconciliés avec nos amis de Civil War, et Sabaton n’a jamais été en aussi grande forme.

Vous allez donner votre plus grand concert en tête d’affiche en France, au Zénith de Paris, le 21 avril prochain. Vous serez avec Lordi et Babymetal. C’est plutôt « funky » comme affiche.

(Rires) Aucun groupe ne ressemble à un autre et vous baignez dans différentes ambiances. C’est plutôt cool ! Nous gardons d’immenses souvenirs avec Babymetal et leur équipe lorsque nous sommes allés au Japon avec eux. Les gens sous-estiment ce groupe, vraiment. Pour Lordi, nous avons ouvert plusieurs fois pour eux vers 2005/2006 et nous les aimons vraiment, c’était évident de les emmener avec nous. Nous voulions une tournée qui soit spéciale mais aussi portée par le positif. Nous allons proposer un concert très différent de tout ce que nous avons fait ces dernières années. Rien ne pourrait aller mieux en ce moment pour Sabaton.

Sabaton sera en concert au Zénith de Paris (première partie : Lordi, guest : Babymetal), le 21 avril 2023.

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