À l’affiche du film de François Ozon “L’Amant double”, le compositeur Philippe Rombi est parvenu en 18 ans à imposer sa patte toujours élégante et riche en références dans le paysage de la B.O. française.

Amoureux de la musique de film française et américaine, Philippe Rombi pourrait être défini comme le fruit d’une synthèse entre John Williams et Georges Delerue. En mélangeant des influences hollywoodiennes et européennes, le compositeur évolue en quelque sorte dans les eaux atlantiques, où il serait à la fois la danseuse d’un ballet sophistiqué de Busby Berkeley et le simple nageur d’une brasse « lente et grave », comme dirait Erik Satie. Fort de cette large culture cinématographico-musicale – doublée d’une culture classique non négligeable, grâce à son cursus aux conservatoires de Marseille et de Paris –Rombi possède un bagage musical d’une richesse infinie. Capable de puiser son inspiration n’importe où, il parvient toujours à trouver les idées qui épousent le mieux le ton et l’esprit des films qu’il met en musique.

PHILIPPE ROMBI ~ ''Sous Le Sable''

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Dès son deuxième long métrage, Sous le sable (François Ozon, 2000), il s’imprègne de l’ambiance à la fois triste et morbide du film, donnant l’impression qu’il est parvenu à se nicher dans la tête de son réalisateur fétiche. Généralement attiré par l’ampleur (voire le trop-plein), Rombi doit parfois forcer sa nature, ce qu’il démontre avec cette B.O. dont l’orchestration est d’une sobriété exemplaire, comme le souligne l’emploi du violon solo – que l’on retrouvera dans une partition cousine ultérieure, celle de Frantz (2016). Cet instrument traduit la mélancolie glaciale de Charlotte Rampling dans Sous le sable, un trait de caractère qui n’est pas très éloigné de celui d’Isabelle (Marine Vacth) dans Jeune et jolie (François Ozon, 2013). Philippe Rombi compose pour ce dernier film une partition fine et classique, exprimant le drame intérieur de cette jeune fille de bonne famille s’adonnant à la prostitution. Toujours pour le même réalisateur, Rombi écrit pour la bande originale de Dans la maison en 2012 une musique répétitive qui semble être en perpétuelle construction, et qui donne l’impression de ne jamais se conclure. En cela, elle est le parfait reflet de la structure « feuilletonnesque » du récit du film.

Dans un registre totalement différent, les musiques de Rombi pour Asterix: Le domaine des dieux (Alexandre Astier, 2014) et Bienvenue chez les Ch’tis (Dany Boon, 2008) sont, elles aussi, des exemples de partitions composées et produites de manière irréprochable, et parfaitement conformes au cahier des charges. Tout comme César cherche à faire en sorte que les irréductibles Gaulois d’adaptent au mode de vie romain, et tout comme Philippe (Kad Merad) doit s’adapter à la culture et au climat des Hauts-de-France, la musique de Rombi se fond dans ces deux films comme une fondue dans un chalet alpin ou une paëlla dans un restaurant valencien.


Mais à côté du Docteur Rombi et ses musiques élégantes et sages, il y a son double – sinon maléfique, du moins un peu plus tourmenté que ce qu’on imagine. Car Philipe Rombi est également, à l’occasion, un adepte de ce que l’on pourrait appeler « l’esthétique de la salissure » : la nappe parfois trop blanche ou unifiée de certaines de ses partitions se trouve entachée de trouble, d’inquiétude ou d’une émotion exacerbée, ce qui reflète d’ailleurs sa personnalité, puisque derrière la courtoisie de ce compositeur timide au discours toujours mesuré, on sent une certaine angoisse créatrice. La musique représente toute la vie de Philippe Rombi, il semble se demander à chaque instant s’il va pouvoir trouver la note juste, et cette anxiété suinte parfois sur les parois de son œuvre. Ce principe de « salissure » s’applique non seulement à sa musique, mais aussi à sa carrière en elle-même. S’il est le compositeur du cinéma douillet de Christian Carion (Joyeux Noël en 2005) ou des comédies populaires et fédératrices de Dany Boon, il faut admettre que sa collaboration avec le culotté François Ozon (déjà douze films ensemble) vient semer la pagaille dans cette filmographie bien rangée.

Quelques pochettes de BO composées par Philippe Rombi

Dans Ricky (2009), le contraste est frappant entre, d’une part, le thème principal mélodieux, d’une douceur inouïe, et, d’autre part, le reste de la B.O., dans lequel le merveilleux est souillé par l’angoisse la plus sombre, comme dans un conte noir. Dans le morceau Conséquences, des instruments associés à cette douceur (piano, célesta, flûtes…) jouent une partition étrange et dissonante qui reflète bien cette audace. Dans Potiche (2010), la « salissure » est un peu plus perverse puisque c’est une tâche d’émotion et de mélancolie que Rombi répand petit à petit au sein d’un tableau initialement kitsch et bourré d’ironie. Avec ses sifflements et ses chœurs féminins lorgnant du côté de Francis Lai, la musique très seventies de Rombi renforce tout d’abord l’artificialité du film – tout comme Angel (Ozon, 2006) chatouillait les codes du mélodrame classique hollywoodien avec un second degré assumé. Mais au fur et à mesure que le film avance, c’est une musique plus grave qui est à l’œuvre, afin d’illustrer la passion entre Catherine Deneuve et Gérard Depardieu, et surtout la nostalgie de leur amour passé, laquelle est renforcée par le pouvoir émotionnel de la métafiction et du couple mythique que les deux stars formaient autrefois chez Alain Corneau ou François Truffaut.


Enfin, citons un film qui n’est pas signé Ozon, mais dont le procédé musical est similaire : dans L’Outsider de Christophe Barratier (2016), Philippe Rombi utilise la musique électronique dans le but de balayer la fraîcheur des cordes, de la harpe ou du tin whistle qui sont associés aux origines bretonnes du trader Jérôme Kerviel, brillamment incarné par Arthur Dupont. En venant happer l’âme encore blanche du jeune diplômé, ces sonorités électro anxiogènes (illustrant la froideur et le cynisme du quartier de la Défense) soulignent la complexité de la démarche du compositeur. Avec cette nouvelle idée de « salissure », il fait de sa musique un manifeste quasiment rousseauiste, déplorant la corruption engendrée par la société (capitaliste, en l’occurrence) : « l’homme naît bon, et c’est Philippe Rombi qui le corrompt » !