Robert Wyatt
Iconoclaste, ovni, indépendant, Robert Wyatt porte sur ses épaules, une ribambelle d’adjectifs soulignant, toujours et encore, son statut à part dans l’univers musical. Surtout, le barbu de Bristol a su faire évoluer son art. Seul ou en groupe, il promène son filet de voix (qui ne ressemble à aucun autre) et son approche de la batterie (qui ne ressemble à aucune autre) dans des méandres plus proches de no man’s land que de territoires bien définis. Est-ce du rock ? Du jazz ? Du jazz-rock ? C’est surtout de la liberté au kilomètre…
Né Robert Wyatt-Ellidge le 28 janvier 1945 à Bristol, Robert Wyatt grandira à Lydden, entre Canterbury et Douvres, où il apprend rapidement la batterie. Voyages à Majorque et rencontres multiples, il joue en 1963 avec tout un tas de musiciens comme Daevid Allen, Hugh Hopper, Richard Sinclair, futur fondateur du groupe Caravan, et Kevin Ayers. Eté 66, Wyatt lance l’aventure Soft Machine. C’est l’époque où les révolutions musicales se suivent à la chaine. Et les visions de ce groupe composé de Daevid Allen (guitare), Mike Ratledge (claviers), Kevin Ayers (guitare, basse et voix, Hugh Hopper, présent sur l'enregistrement de 1963, le remplacera en 1969) et Robert Wyatt (batterie, voix) ne dérogent pas à cette volonté de faire différemment… Pour faire court, l’univers de Soft Machine est avant tout le rejeton d’une frustration. Toute la clique des musiciens de l’école de Canterbury semble se faire à l’idée que l’idiome jazz pur et dur n’est pas pour elle… Qu'elle n'est qu'un Graal... Autre temps, autre époque, autre background, il faut faire autrement. Et puis cette fin des années 60 est celle de l’âge d’or des Beatles, de Dylan, des Stones, des années où la médiocrité n’est pas vraiment de mise. Où le rock et la pop basculent dans l’ère dite de la maturité… Wyatt et ses lieutenants feront donc dans la fusion de ses frustrations en question.
Trop jazz pour la plèbe rock. Trop rock pour la plèbe jazz. Les quatre premiers albums de Soft Machine, étonnamment baptisés One, Two, Third et (attention suspense !) Fouth, bien que passionnants, demeurent inégaux et passablement bordéliques… Ainsi, lorsque l’âme d’une composition est trop présente, le groupe prend à malin plaisir à la démonter… Sur ces opus, la voix de Wyatt qui vient de nulle part permet de ne pas sombrer dans les méandres d’un jazz-rock vain et fatigant. Cet organe de haute-contre fait figure de fil d’Ariane et maintient l’auditeur, qui ne serait pas encore parti se blottir dans les bras de Morphée, dans des sphères à peine pop. Le ton monte et le petit Robert quitte le navire Soft Machine pour voguer seul puis, en 1972, au sein d’une nouvelle embarcation baptisée Matching Mole, avec Phil Miller à la guitare, David McRae au piano et à l'orgue, Bill MacCormick à la basse et David Sinclair au piano et à l'orgue.
Sur le premier opus, poétique dans ses premiers thèmes, puis violemment psyché-barré dans les suivants, Wyatt signe sept compositions sur huit et met fortement en exergue son organe d’une autre galaxie. Le disque suivant, Little Red Record sera même produit par Robert Fripp et accueillera sur certains titres un certain Brian Eno…
Après ce disque, Robert Wyatt est… mort ! Ou presque… Le 1er juin 1973, lors d’une fiesta réunissant Gilli Smyth et Lady June Campbell du groupe Gong, Wyatt, en proie à l’ingurgitation de nombreuses substances solides et liquides, LSD en tête, passe malencontreusement par la fenêtre du troisième étage de l’immeuble où il se trouve. Sa seconde vie, vissée au fond d’un fauteuil roulant commence alors… En fin d’année, Pink Floyd donnera même deux concerts de soutien en sa faveur, au Rainbow Theatre de Londres. C’est lors de sa convalescence que Robert Wyatt cogite à ce qui deviendra son grand œuvre, monument ovni de l’histoire du rock, l’album Rock Bottom qu’il met en boite avec Mike Oldfield, Ivor Cutler, Henry Cow et Fred Frith et Mongezi Feza. Sombre, comme du psychédélisme de chambre, poétique et impalpable, cette suite de compositions bizarroïdes, mêlant tout ce que les êtres humains ont produit de musical depuis Adam et Eve, touche au sublime. Et sous ses airs bien anthracites d’un rock de la solution final, Rock Bottom intrigue et fait rêver. Naïvement.
La carrière solitaire de Wyatt se poursuivra, régulièrement boostée par de nouveaux fans. Alors que les hippies de l’école de Canterbury seront régulièrement raillés, lui bénéficiera d’un soutien de musiciens divers et variés venant aussi bien de la scène punk qu’electro. De Bertrand Burgalat à Björk en passant par Paul Weller, les Arctic Monkeys, Will Oldham, Elvis Costello, Four Tet ou David Gilmour, le nom de Wyatt est un doudou que l’on chérit, se passe et se repasse au fil des disques… Après son accident qui rendra ses deux jambes totalement inactives, Robert Wyatt se fera confectionner un kit de batterie spécial, comme un Légo géant qu’il pilote assis sur son trône d’acier. Installé depuis plusieurs années à Louth, près de Hull dans le nord de l’Angleterre, il publie régulièrement des albums, écoute beaucoup de jazz – sa passion première – et agit en vrai humaniste, lui l’ancien membre du Parti Communiste devenu poète à force de souffler dans sa trompette de poche et de voir comment sa propre voix filtre et analyse tout cela. Une vue d’ensemble de son œuvre ne donnera pas plus d’indices aux visiteurs de passage. Car flâner chez Robert Wyatt, c’est errer dans la bande son d’un Alice au pays des merveilles de la seconde moitié du XXe siècle. Et c’est fort agréable… © MZ/Qobuz
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Né Robert Wyatt-Ellidge le 28 janvier 1945 à Bristol, Robert Wyatt grandira à Lydden, entre Canterbury et Douvres, où il apprend rapidement la batterie. Voyages à Majorque et rencontres multiples, il joue en 1963 avec tout un tas de musiciens comme Daevid Allen, Hugh Hopper, Richard Sinclair, futur fondateur du groupe Caravan, et Kevin Ayers. Eté 66, Wyatt lance l’aventure Soft Machine. C’est l’époque où les révolutions musicales se suivent à la chaine. Et les visions de ce groupe composé de Daevid Allen (guitare), Mike Ratledge (claviers), Kevin Ayers (guitare, basse et voix, Hugh Hopper, présent sur l'enregistrement de 1963, le remplacera en 1969) et Robert Wyatt (batterie, voix) ne dérogent pas à cette volonté de faire différemment… Pour faire court, l’univers de Soft Machine est avant tout le rejeton d’une frustration. Toute la clique des musiciens de l’école de Canterbury semble se faire à l’idée que l’idiome jazz pur et dur n’est pas pour elle… Qu'elle n'est qu'un Graal... Autre temps, autre époque, autre background, il faut faire autrement. Et puis cette fin des années 60 est celle de l’âge d’or des Beatles, de Dylan, des Stones, des années où la médiocrité n’est pas vraiment de mise. Où le rock et la pop basculent dans l’ère dite de la maturité… Wyatt et ses lieutenants feront donc dans la fusion de ses frustrations en question.
Trop jazz pour la plèbe rock. Trop rock pour la plèbe jazz. Les quatre premiers albums de Soft Machine, étonnamment baptisés One, Two, Third et (attention suspense !) Fouth, bien que passionnants, demeurent inégaux et passablement bordéliques… Ainsi, lorsque l’âme d’une composition est trop présente, le groupe prend à malin plaisir à la démonter… Sur ces opus, la voix de Wyatt qui vient de nulle part permet de ne pas sombrer dans les méandres d’un jazz-rock vain et fatigant. Cet organe de haute-contre fait figure de fil d’Ariane et maintient l’auditeur, qui ne serait pas encore parti se blottir dans les bras de Morphée, dans des sphères à peine pop. Le ton monte et le petit Robert quitte le navire Soft Machine pour voguer seul puis, en 1972, au sein d’une nouvelle embarcation baptisée Matching Mole, avec Phil Miller à la guitare, David McRae au piano et à l'orgue, Bill MacCormick à la basse et David Sinclair au piano et à l'orgue.
Sur le premier opus, poétique dans ses premiers thèmes, puis violemment psyché-barré dans les suivants, Wyatt signe sept compositions sur huit et met fortement en exergue son organe d’une autre galaxie. Le disque suivant, Little Red Record sera même produit par Robert Fripp et accueillera sur certains titres un certain Brian Eno…
Après ce disque, Robert Wyatt est… mort ! Ou presque… Le 1er juin 1973, lors d’une fiesta réunissant Gilli Smyth et Lady June Campbell du groupe Gong, Wyatt, en proie à l’ingurgitation de nombreuses substances solides et liquides, LSD en tête, passe malencontreusement par la fenêtre du troisième étage de l’immeuble où il se trouve. Sa seconde vie, vissée au fond d’un fauteuil roulant commence alors… En fin d’année, Pink Floyd donnera même deux concerts de soutien en sa faveur, au Rainbow Theatre de Londres. C’est lors de sa convalescence que Robert Wyatt cogite à ce qui deviendra son grand œuvre, monument ovni de l’histoire du rock, l’album Rock Bottom qu’il met en boite avec Mike Oldfield, Ivor Cutler, Henry Cow et Fred Frith et Mongezi Feza. Sombre, comme du psychédélisme de chambre, poétique et impalpable, cette suite de compositions bizarroïdes, mêlant tout ce que les êtres humains ont produit de musical depuis Adam et Eve, touche au sublime. Et sous ses airs bien anthracites d’un rock de la solution final, Rock Bottom intrigue et fait rêver. Naïvement.
La carrière solitaire de Wyatt se poursuivra, régulièrement boostée par de nouveaux fans. Alors que les hippies de l’école de Canterbury seront régulièrement raillés, lui bénéficiera d’un soutien de musiciens divers et variés venant aussi bien de la scène punk qu’electro. De Bertrand Burgalat à Björk en passant par Paul Weller, les Arctic Monkeys, Will Oldham, Elvis Costello, Four Tet ou David Gilmour, le nom de Wyatt est un doudou que l’on chérit, se passe et se repasse au fil des disques… Après son accident qui rendra ses deux jambes totalement inactives, Robert Wyatt se fera confectionner un kit de batterie spécial, comme un Légo géant qu’il pilote assis sur son trône d’acier. Installé depuis plusieurs années à Louth, près de Hull dans le nord de l’Angleterre, il publie régulièrement des albums, écoute beaucoup de jazz – sa passion première – et agit en vrai humaniste, lui l’ancien membre du Parti Communiste devenu poète à force de souffler dans sa trompette de poche et de voir comment sa propre voix filtre et analyse tout cela. Une vue d’ensemble de son œuvre ne donnera pas plus d’indices aux visiteurs de passage. Car flâner chez Robert Wyatt, c’est errer dans la bande son d’un Alice au pays des merveilles de la seconde moitié du XXe siècle. Et c’est fort agréable… © MZ/Qobuz
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