Portrait du compositeur franco-libanais joué aux quatre coins du monde et qui communique, grâce à son art, sur des événements historiques tragiques auprès de la communauté internationale.

Né le 18 mars 1957, Bechara El-Khoury vit à Paris depuis 1979. La musique de ce compositeur et poète franco-libanais peu connu du grand public avait séduit autrefois le chef d’orchestre Pierre Dervaux, qui avait réalisé alors avec le pianiste américain David Lively deux albums dédiés à sa musique concertante, que Naxos a réédités en 2002, avant de poursuivre la série d’enregistrements autrefois initiée.

Bechara El-Khoury a retrouvé aujourd’hui en Martyn Brabbins (New York, Tears And Hope, mémorial musical aux victimes des attentats du 11 septembre 2001), Daniel Harding (Les Fleuves engloutis) et l’Orchestre Symphonique de Londres des interprètes ardents de son univers coloré, aux textures incroyablement transparentes.

Le catalogue de Bechara El-Khoury comporte environ 70 numéros d’opus qui ont été joués au Théâtre des Champs-Elysées, Salle Pleyel, Théâtre du Châtelet, Radio France, Salle Cortot, Musée Leighton House, Philharmonique de Kiev, Opera House du Caire, Théâtre Noga de Tel Aviv, Radio-Télévision d'Israël, Grand Sérail en Beirut, Musée Enescu de Bucarest, etc., par différents orchestres, comme l'Orchestre Colonne, l'Orchestre Symphonique Français, l'Orchestre Philharmonique de Moscou, l'Orchestre symphonique du Caire et l'Orchestre National Symphonique d'Ukraine. Ces compositions sont souvent liées à l’histoire de son pays, ce qui lui permet via sa double nationalité de communiquer grâce à son art sur des événements historiques tragiques auprès de la communauté internationale (Symphonie op. 37 - Les Ruines de Beyrouth, mémorial de la guerre du Liban).

En 1994, le L.B.C.I. (Lebanese Broadcasting Corporation International), la première chaîne de télévision du Liban, lui attribue le Prix des Arts et de la Culture. Certains de ses travaux ont été commandités par Radio France, Musique Nouvelle en Liberté, l'Orchestre Symphonique Français et l'École Normale Supérieure de Musique.

Bechara El-Khoury évoque ici son art :

Pourquoi les événements du 11 septembre 2001 à New York avaient-ils inspirés un compositeur français d’origine libanaise ?

Bechara El-Khoury : Bien sûr je suis un compositeur français d’origine libanaise mais je me sens citoyen du monde. Bien que je sois chrétien je me sens très proche de toutes les autres religions et aussi des gens qui n’ont aucune croyance… En effet, pour moi, compte l’Homme c'est-à-dire l’être humain indépendamment de ses origines ethniques, raciales ou religieuses. Et quoi de plus normal ? Autrement, c’est de la bêtise et de la médiocrité qui engendrent les drames et tragédies du monde qu’on voit actuellement… Pour ce qui concerne mon œuvre symphonique New York, Tears and Hope, qui est dédiée à la mémoire des victimes du 11 septembre, c’est une musique qui a jailli de mon cœur et qui ne m’a été commandée que par les profondeurs de mon âme. Ces événements ont changé profondément la face de notre histoire contemporaine et je me suis senti proche de ces gens qui sont parti définitivement et de leurs proches.

Pourquoi avoir choisi Londres pour réaliser ce disque ?

Bechara El-Khoury : Depuis toujours, mon rêve était d’enregistrer un album avec le London Symphony Orchestra à l’Abbey Road Studio. Finaliste du concours Masterprize 2003 à Londres, j’ai pris contact avec ce grand orchestre qui a interprété ma musique au Barbican Hall sous la direction de Daniel Harding. C’est un orchestre impressionnant à tous les niveaux : musicalement, techniquement et humainement. C’est certainement, l’un des trois ou quatre plus grands orchestres au monde. Les deux œuvres principales sur ce CD, produit par le label Naxos, sont New York, Tears and Hope, sous la direction de Martyn Brabbins et Les Fleuves engloutis sous la direction de Daniel Harding.

Quelle est votre sentiment sur le fait que votre musique soit jouée en Israël ? Et quel est votre avis sur l’orchestre East- Western Diwan créé par Daniel Barenboïm ?

Bechara El-Khoury : Je suis heureux que ma musique soit jouée en Israël car l’art et la musique n’ont pas de frontières et surtout la musique qui est un langage universel, rapproche les peuples entre eux et abolit les limites géographiques… Pourquoi les gens se battent au lieu d’aimer les belles choses qui les unissent ? Je crois que ce soit les individus ou les responsables politiques, ils font la guerre ou commettent des attentats par manque de culture mais aussi par manque de goût ! Au lieu d’aller à la guerre ou de commettre des actes terroristes, il faut aller au concert ! C’est beaucoup plus intéressant. En ce qui concerne l’orchestre East-Western Diwan, Daniel Barenboim a eu une idée merveilleuse et courageuse en le créant pour rapprocher les gens du Moyen Orient et faire comprendre à travers la complexité, la simplicité et la beauté de la musique, comment la vie est possible dans la paix et la fraternité.

De quelle façon votre musique est-elle poétique et inspirée de votre foi chrétienne ?

Bechara El-Khoury : J’ai été élevé par mes parents dans l’amour et la fraternité. Une éducation catholique sans excès. Juste ce qu’il faut pour avoir une vie équilibrée et spirituelle. Je crois que mon enfance et cette éducation ont influencé inconsciemment et profondément ma musique. La musique, pour moi, est une combinaison de la raison et du cœur, de l’acte spontané et d’une profonde réflexion. Jésus a bercé mon enfance et le temps a fait le reste, c’est à dire l’expérience et le regard envers ce monde brutal et qui manque souvent de vision, d’espoir et d’amour. Quant à la poésie, elle a toujours été primordiale pour moi. J’ai même publié plusieurs recueils dans mon adolescence. D’ailleurs la poésie est un élément essentiel dans tout acte artistique, que ce soit dans la musique, la peinture, la sculpture…

Quels sont vos rapports actuels avec le Liban ?

Bechara El-Khoury : Ce sont des rapports affectueux avec la terre, la famille et les amis. J’ai quitté le Liban en 1979 pour m’installer à Paris mais j’y retourne de temps à autre pour de courts séjours. Le Liban est un tout petit pays mais unique en son genre puisqu’il comporte vingt communautés différentes. Sur 10.000 km² cohabitent trois millions d’habitants. Le Christ y a accompli le miracle de la transformation de l’eau en vin. C’est une terre christique à l’origine du christianisme, un pays où il y a la plus vieille ville du monde Byblos (7000 ans). C’est là que nos ancêtres, les Phéniciens, ont inventé le bateau. Ces bateaux ont pris le large et ainsi ont débuté les relations et les échanges entre les peuples du monde.

Y a-t-il un message politique dans votre musique ?

Bechara El-Khoury : Non, aucun message politique ne se dégage de ma musique, mais plutôt un message d’amour et d’espoir ; et la description violente de ce monde violent que nous vivons

Avez-vous composé des œuvres musicales s’inspirant de la tragédie libanaise ?

Bechara El-Khoury : Bien sûr, j’ai composé une Trilogie libanaise qui comprend trois œuvres symphoniques : ma première symphonie, Les Ruines de Beyrouth (1985), mon premier poème symphonique, Le Liban en Flammes (1980) et mon Requiem pour orchestre (1980) qui est dédié aux martyrs de la guerre.

Pourquoi avoir choisi le label Naxos pour produire vos CD ?

Bechara El-Khoury : Naxos est actuellement le véritable vecteur de la production de musique classique et contemporaine. Ceci, grâce à la vision de son fondateur et président, Klaus Heymann. Il a démocratisé le CD avec les enregistrements de tout le grand répertoire classique et surtout il a donné de l’oxygène à la musique contemporaine. De plus, il a tiré de l’oubli des œuvres inconnues du siècle passé. Tout cela, à un prix plus qu’abordable… Cela a été une révolution dans le marché du disque.

Pensez-vous que la musique classique contemporaine soit accessible au grand public ?

Bechara El-Khoury : Bien sûr ! Où est le problème ? Les gens ont des goûts différents qui évoluent avec le temps. Il faut aussi, peut-être de temps en temps, une certaine persévérance. Mais ce n’est pas vraiment une condition absolue. La musique doit toucher les gens, c’est son but. Le problème d’une partie de la musique contemporaine et de ses auteurs est qu’elle se perd dans des problèmes intellectuels, complexes, souvent avec un mauvais résultat sonore mais surtout sans aucun intérêt sauf pour ceux qui composent ce genre de musique. Une grande partie de la musique contemporaine est vraiment accessible mais parfois il faut réécouter l’œuvre. C’est comme l’amour : il y a des coups de foudre qui ne durent pas et d’autres rencontres qui se construisent solidement à travers l’expérience et le temps.