Au milieu des années cinquante surgissait une voix d’une tendresse et d’une intelligence musicale incomparables. Cette voix, c’était celle de Carlo Bergonzi, qui signait en 1957 pour Decca cet album empli d’une ardeur juvénile. Le Dieu de la jeunesse…

En 1957, Carlo Bergonzi n’était pas un inconnu. Il avait débuté à la fin des années 1940 dans le rôle de Figaro du Barbier de Séville, en 1948 à Lecce. Quelques mois plus tard, déjà avec un éclair de génie, il décide de mettre un temps d’arrêt à sa carrière débutante pour refondre sa voix en une tessiture de ténor. De nouveaux débuts en 1951 dans le rôle-titre d’Andrea Chénier de Giordano. Cette même année, il se fait connaître du public mélomane en participant sur les ondes de la Radio italienne (RAI, Rome) aux célébrations du cinquantenaire de la mort de Verdi. Ensuite, tous les théâtres italiens l’engagent, de La Scala au Teatro San Carlo de Naples. Puis l’étranger, à Londres, Chicago, etc. A l’époque où il signe ce récital chez Decca, le public mélomane sait qu’il a devant ses oreilles l’une des voix les plus extraordinaires du siècle. Il grave ici bien sûr avant tout son répertoire de prédilection, c'est-à-dire Verdi et déjà un peu moins Puccini. Le caractère dramatique, souvent - en réalité - enflammé et intériorisé des personnages verdiens lui sierra à merveille. Il y fera preuve d’une intelligence du verbe confondante. Chez lui, le texte prime toujours sur la seule beauté sensuelle de la voix. C’est pourquoi ses Verdi restent si précieux, et l’intégrale de Rigoletto avec Rafael Kubelik pour le label Deutsche Grammophon en juillet 1964 aura porté cet art à incandescence. Une clarté de la diction phénoménale, porté par un souffle exceptionnel et un respect absolu - et à ce point assez rare - du rythme de la langue italienne (Se quel guerrier io fossi). Ce qui frappe déjà dans ce récital Decca, c’est l’intelligence absolue du style. Aucune vulgarité, aucun désir de plaire ou de séduire. Uniquement l’objectif de l’élégance, du raffinement. Le total abandon du moi au seul profit des lignes musicales, toujours soutenues avec une dynamique et une variété de nuances inconnues de certains de ses collègues. Bergonzi effectuera toujours comme un lien entre Puccini et son prédécesseur Verdi. Dès ce récital, et avant sa participation à des intégrales marquantes de la discographie (La Bohème, avec Renata Tebaldi en 1959, Madame Butterfly avec Renata Scotto en 1966…), il y a ici dans ses interprétations des airs de Puccini (Recondita armonia, E lucevan le stelle, extraits de Tosca) une dignité, une tragique intériorité, qui donne immédiatement sans doute une profondeur supplémentaire à la musique elle-même. Pour l’auteur de ces lignes, avoir découvert Bergonzi il y a quelques années dans le cadre de Pagliacci de Leoncavallo, dirigé par Herbert von Karajan (DG 1965) fut un véritable choc. Tous mes désirs en matière d’opéra italien étaient rassemblés dans ce seul passage qu’était le « Recitar !... Mentre preso dal delirio » interprété par le chanteur italien : une voix sublimissime, ronde et chaleureuse, grave et hautaine, offrant une égalité totale dans tous les registres – avec une petite prédilection tout de même pour les registres médium et graves -, une clarté exemplaire de la diction, et surtout quelle intensité poétique ! Le souvenir d’un ténor, immense, le seul peut-être qu’il eut au XXe siècle dans le répertoire qui nous occupe. Certes, il eut Luciano Pavarotti mais voilà…

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