Avec “Leather Terror”, Carpenter Brut continue de nous conter les aventures de Bret Halford, personnage principal d’une trilogie d’albums imaginée comme un slasher des années 80 et 90. Tandis que “Leather Teeth”, en 2018, se présentait comme un album bien plus glam de la part du maître d’œuvre de la synthwave tendance darksynth, “Leather Terror” nous ramène à un propos bien plus sanguinaire. Sans aucune once de guitare ou de batterie, le Poitevin assène une véritable leçon avec un album de metal sous haute tension.

Vous avez débuté l’épopée de Bret Halford avec l’album Leather Teeth en 2018. Quel regard portez-vous dessus aujourd'hui ?

Frank B. Carpenter : Vous savez, je ne m’en suis jamais vraiment caché, mais j’ai toujours eu une sensation d’inachevé avec ce disque. J’étais encore en train de travailler dessus alors qu’il y avait un Olympia de programmé, donc j’avais la pression, et je pense que j’avais facilement deux ou trois morceaux de plus qui auraient pu fonctionner. Bref, c’est facile de se répéter en boucle qu’on aurait pu mieux faire, mais ça va, après quelques années, on arrive à se raisonner.

Après deux années de crise sanitaire, vous avez dû avoir plus de temps pour peaufiner Leather Terror ?

J’avais déjà prévenu que je ne tournerais pas en 2020, donc ça n’a pas changé grand-chose pour moi. Le Covid m’a plutôt aidé à avoir des invités sur l’album, tout le monde s’emmerdait royalement. (Rire.) D’ailleurs, j’ai contacté Tony [Foresta] le chanteur du [groupe de thrash metal américain] Municipal Waste pour qu’on fasse un morceau ensemble, je ne l’ai jamais sorti ! J’attends de le trouver bien, je remettrais peut-être le nez dedans un jour. (Rire.)

Avez-vous laissé beaucoup de matériel de côté pour Leather Terror ?

Les quelques titres que j’avais laissés de côté pour Leather Teeth m’ont assez marqué comme ça. Je ne voulais pas avoir de regrets une fois l’album terminé. Donc pas vraiment. Il était décidé que rien ne serait programmé tant que je n’avais pas fini Leather Terror. J’ai exploré au maximum toutes les idées que j’avais, et advienne que pourra pour le reste !



Leather Terror est un album bien plus « complexe » que Leather Teeth, plus violent aussi. Le côté glam est mis de côté pour plus de brutalité.

C’est vrai, mais ça va de pair avec l’histoire que je souhaite raconter. Le but n’était pas d’entrer dans une compétition pour créer l’électro la plus « bourrine » jamais faite. Leather Teeth racontait comment Bret Halford, le héros, devenait ce tueur sanguinaire. Sur Leather Terror, la transformation est achevée, et le carnage est total. Disons que le premier album est celui de la jeunesse du héros, ici, il est adulte, donc je devais adapter le propos.

L’intro et le morceau Straight to Hell qui ouvrent l’album représentent bien ce que vous expliquez. Les notes se distordent à de nombreuses reprises, ce qui, finalement, dit tout de l’état psychique de Bret.

Totalement. Cette histoire n’a pas de version officielle, je m’autorise par exemple à voir les meurtres qu’il commet comme des projections de son esprit. C’est une rock star, il se drogue, tout le monde le connaît, il est toujours sur le fil du rasoir. Il a tout ce qu’il veut, mais dès qu’il essuie un refus, de la part d’une femme par exemple, il vrille, car il ne connaît ni n’accepte qu’on lui refuse quoi que ce soit.

Et Carpenter Brut ?

Eh bien, disons que Carpenter Brut me permet d’avoir une certaine hiérarchisation des critiques que je reçois. (Rire.) Il me permet de mettre beaucoup de choses de côté, j’ai appris à faire la part des choses et à différencier ce que sont les problèmes de Carpenter Brut et les miens. Après, je reste un control freak, ça ne changera jamais, et tant mieux. Quand vous êtes comme ça, vous ne restez pas bêtement à attendre les louanges de vos contemporains après avoir fini un disque, vous avez toujours quelque chose à faire et vous allez au-delà. Regardez Sébastien Tellier, il ne se la raconte pas. C’est ce genre de mecs que je respecte, parce qu’ils font de la musique, point barre, et ils contrôlent chaque aspect de cette dernière, de la pochette aux costumes.

Il faut au moins ça pour réussir à créer un album qui sonne comme du metal mais sans aucune véritable guitare ou batterie dedans !

Figurez-vous qu’il y a un humain sur ce disque ! Il s’agit de Ben Koller (ex-Converge, actuel Mutoid Man) qui joue de la batterie sur la dernière piste de l’album, mais pour le reste, en effet, tout est fait avec des synthétiseurs. Je voulais que Leather Terror soit une autoroute, que tout roule tout seul et qu’on ne change pas de manière de faire pour chaque titre.

Nous passons d’un début d’album extrêmement virulent avec Straight to Hell ou Imaginary Fire à des ambiances plus froides, comme avec …Good Night, Good Bye. Sacré panel d’ambiances !

Je voulais clairement éviter de refaire le même disque, donc je devais trouver d’autres « arguments » et arriver à jouer avec d’autres ambiances. Le fait est que Bret est adulte désormais, donc il passe par différents états d’esprit que je devais représenter. Par exemple, il y a cette violence basique que vous évoquiez avec Straight to Hell. Je suis persuadé que j’ai été inspiré par la tournée américaine avec Ministry, qui est un peu le chantre du genre.

Day Stalker et Night Prowler sont intéressants dans leur conception, ça nous a un peu fait penser aux Chemical Brothers. On a la sensation que vous revenez un peu « à la source » sur ces morceaux.

J’ai toujours voulu faire des morceaux « à la Chemical Brothers ». Vous noterez qu’il y a cette progression tout au long de Day Stalker, le morceau se construit au fur et à mesure et finit par trouver tout son sens dans Night Prowler. En fait, il y a quelque chose que je ne comprends pas dans l’electro, c’est cette « science » par rapport à l’entrée des éléments, les « montées ». J’étais dans une rave party il y a quelques années et le DJ lance un beat, il le fait durer ad vitam eternam, les gens n’ont commencé à vraiment bouger et à gueuler qu’à l’entrée du charley. Mettez-vous à ma place, déjà, à cette époque, je me faisais chier à composer des trucs avec des drops, des breaks, des couplets, des refrains, la totale (rire), et vous avez ce mec, dans cette rave party, qui envoie juste un charley et met toute une salle en transe. C’est de la magie noire pour moi. J’ai essayé de reproduire ce que j’ai vécu ce soir-là avec Day Stalker et Night Prowler. Une montée qui vous entraîne sans partir vraiment.

On parlait d’ambiances un peu plus froides précédemment, nous avons déjà évoqué Ministry, mais il y a aussi pas mal de Nine Inch Nails dans Leather Terror.

L’histoire que je raconte dans l’album se déroule en 1991. Je devais donc abandonner le côté glam du précédent et partir vers ce qu’il se passait dans les années 90. Je ne voulais pas spécialement d’ambiances grunge type Nirvana, mais j’avais vraiment besoin de décaler le propos. Je me suis tourné vers ce que faisait Nine Inch Nails à cette période et j’y ai trouvé tout ce dont j’avais besoin.

Comment s’est organisée la collaboration avec Greg Puciato (Dillinger Escape Plan, Killer Be Killed) sur Imaginary Fire ?

Ben Koller, dont je vous parlais plus tôt, est ami avec lui et m’a donné son contact. Donc, comme avec pas mal d’invités sur l’album, tout a commencé soit par un SMS, soit via des messages privés sur Instagram. Et c’est resté comme ça. On s’échangeait des fichiers par messages interposés – merci Dropbox. Puis, un jour, il m’envoie le refrain, enfin une première version, et il s’avère que j’ai pas mal tiqué car quelque chose n’allait pas, probablement que c’était trop hurlé. Je lui explique gentiment les changements que je souhaiterais pour une potentielle seconde version du refrain et le mec me dit que ses « potes » trouvent que cette première version sonne du tonnerre. Du coup, taquin comme je suis, je lui demande qui sont ses potes : c’étaient Jerry Cantrell d’Alice In Chains et Billy Howerdel de A Perfect Circle… Bref, il a quand même réenregistré le refrain. (Rire.)

Le plus intéressant reste que vous arrivez à conserver le côté « dansant » de votre musique, grâce à des titres comme Lipstick Masquerade qui nous rappelle Madonna par exemple.

Comme vous le savez, c’est Persha qui officie sur ce titre. C’est une chanteuse incroyable. Elle m’a contacté quelques mois auparavant pour me présenter un peu ce qu’elle faisait et me proposer une collaboration. Quand j’ai entendu sa voix, c’était évident pour moi qu’il fallait un titre « à la Madonna » comme vous le disiez.

Vu que nous avons évoqué tous les invités, ce serait injuste de ne pas parler d’Alex Westaway, le chanteur de Gunship. Sa prestation sur The Widow Maker est tout bonnement incroyable.

C’est au-delà de ça ! C’est un chanteur incroyable, et si ça ne tenait qu’à moi, je ferais un album entier avec lui. Peut-être quand j’arrêterais Carpenter Brut, qui sait ? Là, ça ne servirait à rien, ça nuirait à nos projets respectifs. Je sais que Carpenter Brut ne sera pas éternel car au bout d’un moment, j’aurais fait le tour, et je me connais, je ne serais plus aussi inspiré, motivé et j’arrêterais avant de faire quelque chose qui ne correspondrait plus à ce qu’est Carpenter Brut. Après, j’en ai jusqu’en 2027 avec la trilogie à finir, donc ce ne sera pas tout de suite, mais j’aurais 50 ans à ce moment-là, je ne sais pas si j’aurais encore envie de faire des tournées comme celles qui arrivent.

Les deux artistes qui ont inspiré le personnage principal de votre nouvelle trilogie n’attendent que vous !

Je rêverais d’avoir Rob Halford (chanteur de Judas Priest) en invité sur un album, mais c’est un peu plus compliqué. Déjà, je ne sais pas s’il répond sur Instagram (rire), mais surtout, j’ai peur de ne pas être assez « réputé » pour que la ou les personnes qui le représentent laissent une chance à mon message d’arriver jusqu’à lui. On ne sait jamais, ce serait incroyable, je pense que sa voix se marierait à la perfection avec ce que j’ai à lui proposer.

La fin de l’album est plutôt mal embarquée pour Bret, puisqu’il se fait congeler et est donc mis hors d’état de nuire. C’est quoi la suite pour lui ? 



Il va se réveiller dans deux cents ans, dans le futur donc. J’ai déjà tout en tête, je pense que le prochain album aura beaucoup d’éléments « progressifs ». Je ne sais pas si vous savez, mais les pochettes de Leather Teeth et Leather Terror se complètent, le premier était la tête, celui-ci est le corps, et je pense que le prochain sera le bas du corps, un peu comme Too Fast for Love de Mötley Crüe, mais avec des éléments annonçant ce côté très futuriste. On se revoit dans quelques années pour en parler !

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