En marge du nouvel enregistrement des Indes Galantes de Jean-Philippe Rameau, par la Simphonie du Marais sous la direction de Hugo Reyne

Au XVIIIe siècle, dans une France particulièrement attirée par tout ce qui est lointain et étranger, il suffisait, sur la scène du théâtre ou de l'opéra, d'ajouter des coiffures extravagantes pour figurer le monde asiatique ou celui d'un Orient de rêve et personne ne s'offusquait de voir des sauvages danser bien sagement au rythme d'un menuet ou d'une chaconne. C'est l'époque du mythe du "bon sauvage", cette idée un peu naïve qui idéalisait les peuples lointains que l'on imaginait vivre dans une sorte de paradis sur terre avant le péché originel. L'idée commence à être mise à mal, vers 1772, par Diderot qui pense que le "bon sauvage" n'existe pas et qu'il faut juger chaque être humain tel qu'il est, c'est à dire ni bon ni mauvais. En France, cet exotisme a commencé avec la scène du "Grand Mamamouchi" dans Le Bourgeois gentilhomme de Molière, brocardant la visite de l'envoyé du sultan de l'Empire ottoman qui s'était moqué de Louis XIV. Puis il y eut la première traduction des contes des Mille et Une Nuits, les Lettres persanes de Montesquieu et les voyages de Bougainville qui mirent l'exotisme à la mode.

Ce premier orientalisme trouvera des échos en littérature, en peinture avec Hyacinthe Rigaud, Quentin La Tour, Liotard qui préfigurent tous les grands noms du siècle suivant, lorsque le mouvement va s'intensifier.

En musique, l'exotisme est surtout prétexte à des danses costumées et colorées figurant une nation lointaine, mais la musique elle-même n'est nullement concernée et c'est en vain que l'on cherchera des harmonies "exotiques" dans les Indes Galantes de Rameau où tout ce que l'on entend est strictement français. Les harmonies venues d'ailleurs dans la musique de la fin du XVIIIe siècle se cantonnent dans l'évocation du tambourin provençal (servant aussi à évoquer les turqueries), de la polonaise ou encore de la mazurka. La véritable influence étrangère sera bien sûr celle venue d'Italie dont la Querelle des Bouffons reste emblématique.

Jean-Philippe Rameau, dont on commémore cette année les 250 ans de la mort, a été attiré lui-aussi par l'exotisme de son temps. Il déclinera cet attrait par deux visions différentes et complémentaires. C'est l'aspect de l'Orient philosophique, celui des mages et de l'ésotérisme dont il sera question dans Zoroastre en 1749 (ce que fera exactement Mozart quarante ans plus tard avec la Flûte enchantée. Zoroastre = Sarastro). Dans les Indes Galantes de 1735, c'est le pittoresque qui l'emporte au cours des quatre "entrées", quatre actes qui décrivent chacun une intrigue différente prétexte au voyage. Après un prologue évoquant les fêtes d'Hébé, la première entrée évoque Le Turc généreux (tel qu'on le trouvera chez Mozart également dans L'Enlèvement au Sérail). C'est un véritable chef-d'œuvre d'expression et de maîtrise de l'orchestre, avec la fameuse scène de la tempête dans laquelle rivalisent les trémolos expressifs, les gammes rapides et les petites flûtes figurant les éclairs. Les Incas du Pérou forment la deuxième entrée, avec le beau personnage du grand prêtre Huascar et la superbe scène de l'Adoration du soleil. Cette entrée est sans aucun doute le point culminant de l'ouvrage. Suivent Les Fleurs. De la très belle musique mais sans progression dramatique. La dernière entrée est celle des Sauvages, la plus brillante et la plus vive à défaut d'être la plus émouvante. Et ce chef-d'oeuvre disparate et génial s'achève par une chaconne monumentale pleine de trouvailles harmoniques et instrumentales. Plus de deux cents mesures d'une seule haleine - écrit Philippe Beaussant - où presque rien ne demeure de la vieille forme à basse contrainte de la chaconne : rien, si ce n'est l'esprit de la danse...

Vous trouverez sur votre QOBUZ plusieurs versions des Indes Galantes, à commencer par celle, historique, de Jean-François Paillard et celle de Christophe Rousset dans un arrangement pour clavecin. Il faudra désormais compter avec le nouvel enregistrement de Hugo Reyne réalisé en concert en 2013, au Konzerthaus de Vienne avec la Simphonie du Marais et d'excellents solistes. Une version qui met en valeur toute la subtilité de la palette orchestrale de Rameau conjuguée à l'expression des passions et à l'exaltation de la danse.