Le monde réel

Chronique

« Il n’y a personne sauf moi, ici. » Le quinzième album de Dominique A est peuplé de solitudes que le chanteur nantais sublime via un décor à la Edward Hopper (Au bord de la mer sous la pluie) ou bien tente de combler en s’ouvrant à l’autre. Ce besoin de communication s’exprime notamment dans le morceau Avec les autres, dans lequel Dominique A rêve d’un monde où l’on retrouverait le plaisir de se retrouver sereinement et d’arrêter « de se regarder avec des lance-flammes dans les yeux ». Tout au long de ce Monde réel, il décrit une humanité tragiquement divisée, où « chacun reste dans sa nuit » (Désaccord des éléments). Sa vision désenchantée des choses va jusqu’à prendre une dimension quasiment fantastique dans Nouvelles du monde lointain, un titre dans lequel un peuple qu’on imagine autarcique observe de loin un monde artificiel dans lequel les écrans dominent tout. De manière corollaire, la fragilité est l’autre thème majeur de cet album, comme le prouve le titre Les Roches, où il décrit des pierres plissées dont l’inaltérabilité est mise en opposition avec les vies cassées de l’humanité en 2022. La fragilité, la solitude… Pour mettre en musique ces thèmes chers à son cœur, Dominique A a recours à la délicatesse d’un piano et d’une contrebasse, auxquels viennent s’adjoindre, de manière souvent impressionniste, quelques bois ou un clavier électronique. Mais ce tableau serait sans doute trop alangui s’il n'avait greffé à cela une formation de cordes aux volutes sophistiquées, dont le lyrisme et la luminosité empêchent l’attendrissement sur soi-même. Une fois encore, celui qui est souvent considéré comme l’instigateur de la « nouvelle scène française » a commis un album intime et sensible, qui raconte les changements du monde avec intelligence. ©Nicolas Magenham/Qobuz