Gato Barbieri
Gato ! Le chat ! Quoi que les gueulantes du greffier en question s’apparentaient plutôt à celle d’un tigre. Le son rageur de son saxophone ténor restera un cri bien singulier reconnaissable entre mille, l’une des plus belles voix du latin jazz sans doute… Grandes lunettes sur le nez et large feutre noir sur la tête, le souffleur argentin fut surtout l’homme des grands écarts, fréquentant à ses débuts tous les pyromanes de la scène free avant-gardiste avant de s’engager par la suite sur les routes plus goudronnées et balisées d’un jazz fusion que certains trouveront un brin trop commercial… Mais la carrière comme la discographie de Gato Barbieri comporteront assez d’instants magiques pour que les faiblesses opportunistes du bonhomme soient éclipsées… Gato Barbieri restera également indissociable du Dernier Tango à Paris de Bernardo Bertolucci avec Marlon Brando et Maria Schneider pour le compte duquel il signera une partition aussi fameuse et torride que le film lui-même et qui lui vaudra un Grammy Award…
Né Leandro Barbieri le 28 novembre 1932 à Rosario dans une famille de musiciens, Gato Barbieri débuta par la clarinette à 12 ans avant de voir la Vierge, ou plutôt de l’entendre, en la personne de Charlie Parker dans le poste de radio familiale. Il empoigne alors un saxophone pour ne plus le lâcher… Il se fait progressivement un nom sur la scène jazz de Buenos Aires et intègre l’orchestre de son compatriote pianiste Lalo Schifrin à la fin des années 50. Il jette l’ancre à New York puis tourne en Europe au début des années 60, notamment avec le trompettiste Don Cherry – une rencontre essentielle – qui l’embarque sur ses trois albums de 1966 pour le compte du label Blue Note (Complete Communion, Live at Jazzhus Montmartre et Symphony For Improvisers). Installé sur le Vieux Continent, Gato Barbieri subit alors l’influence grandissante de John Coltrane. En 1967, il enregistre pour le label ESP Disk In Search Of The Mystery, son premier opus en tant que leader. Un beau disque free au possible avec le contrebassiste Norris "Sirone" Jones, le violoncelliste Calo Scott et le batteur Bobby Kapp. C’est l’époque soixante-huitarde engagée où l’Argentin joue avec Carla Bley, Charlie Haden, Enrico Rava, Steve Lacy, Jean-François Jenny-Clark, Nana Vasconcelos ou bien encore Gary Burton et se retrouve sur deux albums mythiques de cette ère libertaire et agitée : Liberation Music Orchestra de Charlie Haden en 1969 et Escalator Over The Hill de Carla Bley et Paul Haines. De son côté, il signe quatre albums chez Flying Dutchman qui briquent un peu plus son aura : The Third World en 1969, Fenix et El Pampero en 1971 et Under Fire en 1973, disques auxquels participent des musiciens de renom comme Lonnie Liston Smith, Joe Beck, Ron Carter, Lenny White, Roswell Rudd ou bien encore Bernard Purdie. En 1970, Gato Barbieri se retrouve embarqué dans Carnet de notes pour une Orestie africaine (Appunti per un'Orestiade africana), un documentaire de Pier Paolo Pasolini tourné comme un repérage en Afrique en vue de la réalisation d'un film, qui n'a jamais vu le jour, tiré des tragédies de l'Orestie d'Eschyle, et pour lequel il signe la musique…
Mais la vrai tango dans lequel Gato Garbieri se lance avec le 7e Art interviendra deux ans plus tard, en 1972, avec la musique de ce fameux Dernier Tango à Paris de Bertolucci. La suite est entrée dans la légende : le scandale du film, le Grammy Award et une autoroute du succès pour l’Argentin dont le style, sans se policer, opère une sorte de retour aux sources de ses origines sud-américaines. Sa musique mélange alors une exubérance latino et les prémices du jazz rock fusion…
La première partie des années 70 se fera sous pavillon Impulse ! pour Gato Barbieri (Chapter One: Latin America et Chapter Two: Hasta Siempre en 1973, Chapter Three: Viva Emiliano Zapata en 1974 et Chapter Four: Alive in New York en 1975) avant qu’il ne signe pour l’écurie nettement plus commerciale A&M. En 1976, il publie l’un de ses plus gros succès : Caliente !. Mais ce que certains pourraient interpréter comme la vente de son âme au diable est en fait une belle mutation, groovy à souhait. Déjà, le saxophoniste argentin a gardé intact son jeu furieux qui brillait, quatre ans plus tôt, sur un album comme Fenix voire sur la B.O. du Dernier tango à Paris. Un son de ténor surpuissant, bouillant comme la braise, presque crié et latin au possible. Ce bien nommé Caliente ! produit par le trompettiste Herb Alpert visait certes le grand public (ses reprises du Europa de Santana et d’I Want You de Marvin Gaye ont aidé à son succès) mais de manière plus que respectable. Percussions latinos ici, cordes soyeuses là, le Chat alterne entre smooth jazz, jazz pop, latin jazz et fusion avec un vrai savoir-faire. A ses côtés, il a convoqué la crème des requins de studio des années 70, ses spécialistes de ce jazz jazz flirtant avec le funk, la soul voire même le disco. Un casting bodybuildé dans lequel on croise notamment le solide batteur Lenny White, les percussionnistes Ralph MacDonald et Mtume, le trompettiste Randy Brecker, les guitaristes Eric Gale et Joe Beck, le bassiste Gary King. Le résultat est un disque qui fleure bon les seventies et montre son auteur sous ses airs les plus chatoyants. Une frimousse assez éloignée de celle de ses débuts free…
La suite est une enfilade d’autres succès majeurs : Ruby Ruby en 1977 et Tropico en 1978. Mais sa femme Michelle passera les années 80 à lutter contre un cancer qui aura raison d’elle en 1995 à seulement 35 ans. Gato Barbieri se met en retrait de la scène jazz. Il refait progressivement surface à l’aube des années 90, enregistrant des albums occasionnellement et se produisant régulièrement sur scène. Il publie son dernier disque, New York Meeting, en 2011. Gato Barbieri meurt le 2 avril 2016 à New York à l'âge de 83 ans. © MZ/Qobuz
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