David Crosby, la fin d'un rêve californien

Celui qui vient de s’éteindre le 18 janvier 2023 était l’une des figures les plus emblématiques de la scène rock américaine de la fin des sixties et des seventies. En plus d’avoir co-piloté les Byrds puis Crosby Stills Nash & Young, deux formations phares de l’époque, David Crosby était un personnage hors norme. Viscéralement hippie. Iconoclaste. Totalement libre. Mélodiste cinq étoiles. Mais aussi un junkie invétéré. Ce qui lui fera dire au magazine Rolling Stone en 2014 : « Je n'ai aucune idée de comment je suis toujours en vie et Jimi Hendrix ne l'est pas et Janis Joplin non plus et tous mes autres amis… Je ne sais pas pourquoi moi, mais j'ai eu de la chance. »

D’entrée de jeu, le Californien né en 1941 frappe un grand coup au sein des Byrds qu’il monte avec Roger McGuinn et Gene Clark. Avec leur reprise on ne peut plus originale du Mr. Tambourine Man de Bob Dylan, emballée dans des harmonies vocales somptueuses et des guitares en pur cristal, les Byrds s’imposent comme un challenger de poids face aux Beatles, Rolling Stones, Kinks et autres Beach Boys. Des Oyseaux d’autant plus fascinants qu’ils commencent par plonger la pop dans un océan harmonique et mélodique alors inédit et créer ainsi le folk rock (les albums Mr. Tambourine Man et Turn! Turn! Turn! en 1965), avant de dériver vers le psychédélisme (Fifth Dimension en 1966 avec son single furibard Eight Miles High !) puis, nouveau contrepied, d’inventer le country rock en fricotant avec Gram Parsons (Sweetheart of the Rodeo en 1968).

Guerres d’égo, dissensions et too much drugs, l’éclectisme de génie des Byrds explose en vol en 1967 et Crosby se lance dans une nouvelle aventure avec deux confrères déjà auréolés eux aussi : Stephen Stills du Buffalo Springfield et Graham Nash des Hollies. Un supergroup qui passera de trio (CS&N) à quartet (CSN&Y) avec l’arrivée d’un certain Neil Young… C’est l’âge d'or de ce son californien mêlant pop, folk, rock et country. Une parenthèse de création intense et dont la B.O. comporte de nombreuses chansons signées Crosby comme Almost Cut My Hair, Long Time Gone (écrite au lendemain de l’assassinat de Bobby Kennedy), Déjà Vu ou bien encore Guinnevere (qu’il considérait comme l’une de ses meilleures, évoquant d’anciennes conquêtes parmi lesquelles Joni Mitchell). La grande Histoire garde surtout l’alliage sublimissime entre les voix de ces musiciens charismatiques. Des harmonies vocales d’une rare intemporalité.

Paru en 1970 et vendu à plusieurs millions d’exemplaires, l’album Déjà Vu est un sommet de ces années. Album de chevet de la génération Woodstock et sommet d’un certain country-rock, parrain de l’americana, c’est avant tout et une fois de plus un must d’harmonies vocales. Chacun apporte ici sa pierre à un édifice tantôt acoustique et vaporeux, parfois plus nerveux et foncièrement rock. Car Déjà Vu est davantage la compilation de quatre fortes personnalités qu’un réel effort de groupe. En invitant leur ami Neil Young, CS&N élargissent la palette proposée sur leur précédent opus de 1969. Le résultat est ici d’un tout autre calibre. Avec Teach Your Children et Our House, Nash est l’expert de la folk song countrysante, légère et douce. Sur Carry On qui ouvre ce chef d’œuvre, Stills orchestre un génial assemblage de guitares acoustiques et électriques. Quant à Neil le Loner, ses dons d’écriture sont époustouflants sur le mélancolique Helpless. CSN&Y dessine là un arc-en-ciel harmonique qui irradie les musiques roots américaines. Mais la féérie ne durera pas. Dans Long Time Gone, son autobiographie publiée en1989, David Crosby écrira : « Stephen a toujours senti que Nash et moi avions du ressentiment ou essayions de l’entraver. Nash et moi avons toujours pensé que Stephen était autoritaire. J’ai eu l’impression qu’il ne nous avait pas donné de crédit là où c’était dû. »

Crosby trouvera pourtant le temps de réaliser son premier album solo. Tout seul (ou presque). Publié en février 1971, If I Could Only Remember My Name est LE grand chef d’œuvre du morse de Los Angeles. Du 100% hippie « made in Californie » pour lequel il a convié la crème du genre. On retrouve ainsi des membres du Jefferson Airplane (Grace Slick, David Freiberg, Paul Kantner), de Hot Tuna (Jorma Kaukonen et Jack Casady) et du Grateful Dead (Jerry Garcia, Phil Lesh, Bill Kreutzmann, Mickey Hart). Mais aussi Joni Mitchell, Neil Young et Graham Nash. Compositions sublimes, harmonies merveilleuses et virtuosité instrumentale, voilà un nirvana baba de folk rock se bonifiant avec le temps. Un disque finalement bien décrit par sa pochette : un coucher de soleil californien.

La drogue ne cessera d’aller et surtout venir flouter la carrière de David Crosby. En 1977, Crosby, Stills & Nash relancent la machine et décrochent le jackpot avec leur cinquième album, CSN. D’autres enregistrements et d’autres concerts suivront sporadiquement. Quelques piges aussi sur des disques d’amis tels que Grace Slick, Hot Tuna, Phil Collins ou les Indigo Girls. Mais en 1985, le morse californien est expédié neuf mois derrière les barreaux, pour possession de cocaïne et port d'arme… La suite mêlera disques solos (certains avec son fils Raymond), reformations de CS&N et soucis de santé (une greffe du foie en 1994). David Crosby fut le cliché du baba cool insouciant. Souvent génial, souvent paumé. Souvent très drôle aussi. Une icône pour beaucoup. Au point d’apparaitre dans deux épisodes de ce must de la pop culture américaine que sont les Simpsons.

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