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Henri Dutilleux

Le samedi 22 janvier 1916 retentissait dans les salons de la princesse de Polignac la première exécution publique de En blanc et en noir de Debussy ; Camille Chevillard dirigeait entre autres la Septième de Beethoven avec les concerts Lamoureux-Colonne, prouvant que le nationalisme musical n'encombrait pas encore les esprits ; on repêchait dans le Grand canal de Versailles le corps de Mlle Marthe Jacquin, employée des Postes à Versailles, qui s'était suicidée dans un accès de neurasthénie ; la Première guerre mondiale s'enlisait, ceci expliquant peut-être cela ; tandis qu'à Angers naissait Henri Dutilleux.



Vingt-deux ans plus tard, après une enfance baignée de musique familiale puis des études musicales tout à fait classiques au Conservatoire de Paris, Henri Dutilleux remporte (à la troisième tentative) le Grand prix de Rome de 1938 avec la cantate L'Anneau du roi, et part pour Rome en février 1939 où il est accueilli par le directeur d'alors, Jacques Ibert. Mais au bout de quatre mois seulement au lieu des quatre années statutaires, il doit interrompre son séjour romain pour répondre à l'appel des drapeaux et des fusils. Après l'armistice de juin 1940, il est démobilisé et se retrouve à Paris où il vivotera de menus travaux musicaux sans intérêt. La guerre rend l'accès à l'enseignement particulièrement difficile : Dutilleux se plonge dans le traité de composition de d'Indy, approfondit sa connaissance des musiques anciennes et des polyphonies religieuses, se familiarise avec la musique contemporaine, du moins celle qui pouvait être alors disponible à Paris, en particulier Stravinsky - les Viennois, Bartók, ne feront leur apparition que plus tard.



En 1942, il décroche le poste de chef de choeurs à l'Opéra de Paris, et commence assidûment à composer des pièces de musique de chambre ; des mélodies, la Sonatine pour flûte et piano, où se fait encore sentir l'influence de Ravel, de Debussy et de son ami Roussel, ainsi qu'il le déclarera lui-même plus tard. Encore une année, et il intègre en 1944 la Radiodiffusion française où il est responsable du service des Illustrations Musicales - un poste qu'il gardera jusqu'en 1963, et qui lui permettra de côtoyer toute la planète musicale d'alors. Sa première oeuvre orchestrale majeure, La Geôle pour baryton ou mezzo et orchestre, date de cette même année, mais ne sera créée qu'en 1945, par André Cluytens.



La guerre enfin terminée, Henri Dutilleux épouse la pianiste Geneviève Joy, pour laquelle il composera désormais ses grandes oeuvres pour piano, en particulier la Sonate de 1948 qu'il considérera d'ailleurs comme le premier ouvrage de son langage personnel (au sujet de la Sonatine pour flûte, certes célèbre auprès des flûtistes de tout poil, il déclarera qu'elle ne le convainquait pas vraiment...). C'est en 1951 que naît sa Première symphonie, qui sera immédiatement créée par l'Orchestre national de France sous la direction de Roger Désormière, un chef-d'oeuvre de finesse orchestrale, d'équilibre architectural et d'invention sonore. Dutilleux a 35 ans et sa réputation est assise : l'oeuvre sera même enregistrée peu après par l'Orchestre de l'Opéra dirigé par Pierre Dervaux, puis adoptée dans la foulée par Martinon, Rosbaud ou Ansermet.



À cette époque, un certain Pierre Boulez, jeune trouble-fête avant-gardiste et iconoclaste, arrivait sur la scène française, et jouerait un rôle majeur aux côtés de Dutilleux ; celui de sa némésis musicale. Car la Symphonie de Dutilleux ne pouvait qu'avoir des relents de néo-romantisme pour un Boulez qui estimait que l'on devait être sériel ou n'être point. Ce n'est que bien des années plus tard qu'il finira par s'intéresser réellement aux oeuvres de son contemporain, mais il faudra attendre les Métaboles de 1965.



Pour le moment, Henri Dutilleux accepte une commande de Roland Petit, Le Loup pour l'Opéra de Paris, un immense succès en cette année 1953, qui assoit encore plus, si besoin était, sa renommée de grand jeune compositeur français international. Peu après, l'Orchestre de Boston désire célébrer son 75e anniversaire, et la Fondation Koussevitzky lui commandera sa Seconde symphonie, qui sera créée en 1959 par Charles Munch. Le Double, c'est son nom, renoue avec le genre ancien du concerto grosso, où un petit groupe d'instrumentistes (hautbois, clarinette, basson, trompette, trombone, timbales, quatuor à cordes, clavecin et célesta) répond au grand orchestre avant de fusionner dans un ensemble somptueusement foisonnant. La planète musicale se réjouit : voilà un musicien contemporain qui ne cherche pas à détruire La Joconde, à mettre le feu à l'Opéra, mais qui sait écrire de la musique ultramoderne avec des moyens hérités de cinq siècles de musique.



L'Orchestre de Cleveland ne veut pas rester en arrière, de sorte que son chef Georg Szell décide de célébrer le 40e anniversaire de l'orchestre en commandant lui aussi une grande oeuvre à Dutilleux. Ce sera Métaboles de 1963-64, créée en 1965 par le commanditaire. L'ouvrage, en cinq mouvements, fait montre d'un modernisme ébouriffant tout en poursuivant, comme toujours, l'oeuvre musicale commencée cinq siècles plus tôt. Devant la beauté musicale pure, la fluidité et l'élégance du langage, la complexité de la grammaire musicale, un commentateur a comparé Métaboles à du Proust en musique... à méditer.



En 1967, on lui confère le Grand Prix national de la Musique pour l'ensemble de son oeuvre, qui ne compte pas vingt opus : la planète musicale exulte, les avant-gardistes se gardent de trop commenter.



Après une petite année comme professeur associé au Conservatoire de Paris (auparavant, il avait oeuvré comme professeur de composition à l'Ecole Normale de Musique à la demande de Cortot de 1961 à 1970), il crée au Festival d'Aix-en-Provence son concerto pour violoncelle Tout un monde lointain..., avec le commanditaire de l'ouvrage Mstislav Rostropovitch au violoncelle : c'est un triomphe extraordinaire. Décidément, aucun diktat avant-gardiste ou tout-sériel n'arrive à écorner la célébrité publique de Dutilleux qui, tranquillement, compose ses oeuvres au compte-gouttes.



Un petit détour par la musique de chambre lui fait composer son quatuor Ainsi la nuit qui sera créé en 1977, mais il retourne bientôt à l'orchestre avec l'un de ses plus extraordinaires chefs-d'oeuvre : La Nuit étoilée (ou encore Timbre, espace, mouvement) inspiré par le tableau éponyme de van Gogh. Il faut préciser que Dutilleux provient d'une famille d'artistes, son arrière-grand-père étant un peintre assez célèbre en son temps, collaborateur de Corot, de Delacroix, et que les toiles abondaient dans la maison familiale de son enfance. Triomphe sans non, la planète musicale nage dans le bonheur, l'avant-garde se tait.



Issac Stern, dans la foulée de Rostropovitch, commande à son tour un concerto, ce sera L'Arbre des songes, créé par le commanditaire et Lorin Maazel en 1985. Osera-t-on nier que les éloges pleuvent sur le compositeur ? Suivent plusieurs années de quasi-silence, ou de quasi-retraite, car il ne faut pas oublier qu'entre temps, Dutilleux atteint les soixante-dix ans et aspire à un peu de repos légitimement mérité ! Il accepte quand même une commande qui ne peut pas se refuser, de la part de Paul Sacher - celui-là même qui a déjà passé commande à Stravinsky, Bartók, Strauss, Henze, Hindemith et quelque trois cent autres compositeurs contemporains. Ce sera Mystère de l'instant de 1989 pour cymbalum, 24 cordes et percussion, un bijou de concision et d'émotion concentrée.



Huit ans plus tard seulement naîtra la prochaine oeuvre, attendue par la galaxie musicale comme le grand moment d'une vie : Shadows of Time, créée par Seiji Ozawa et l'orchestre de Boston en 1997. Boston, Cleveland, Sacher, Rostropovitch, Stern... le Philharmonique de Berlin ne pouvait pas ignorer qu'il vivait, de l'autre côté du Rhin, l'un des plus considérables compositeurs contemporains : Simon Rattle commanda donc Correspondances en 2003, un cycle de cinq mélodies pour voix et orchestres dédiées à la soprano états-unienne Dawn Upshaw. Triomphe magnifique. Peu avant, Henri Dutilleux avait offert à Anne-Sophie Mutter Sur le même accord, une belle page pour violon et orchestre.



Le dernier grand ouvrage du compositeur est, jusqu'ici, Le Temps l'horloge, écrit dans un espace de trois ans entre 2007 et 2009. L'oeuvre complète, avec ses quatre mélodies orchestrales et son intermède, a été créée par Renée Fleming en 2009. Est-il besoin de préciser que le compositeur a reçu une ovation infinie.



Alors que le compositeur était encore en activité et qu'en janvier, pour son 97e anniversaire, venait de paraître sa dernière oeuvre, Correspondances, enregistrée sous la direction de Esa-Pekka Salonen chez Deutsche Grammophon, il décède quatre mois plus tard, le 22 mai 2013, à l'âge de 97 ans.



© Qobuz 05/2013

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