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Alfred Cortot

Il est trois aspects que l'on voit du mauvais bout de la lorgnette en ce qui concerne Alfred Cortot. Premièrement, c'est un homme du XIXe siècle, très ami de Fauré, certes né avec Ravel, Rachmaninov, Stravinsky ou Bartók, qui certes a enregistré jusque dans les années 50 et donné son ultime concert en 1958, mais dont les regards musicaux et humains s'orientaient vers Chopin, Schumann et Wagner bien plus que vers Webern. Deuxièmement, on a lourdement appuyé sur son rôle pendant la Seconde guerre mondiale, comme si l'on avait voulu déboulonner une idole devenue trop imposante, à l'aide d'expédients qui procédaient plus de la flétrissure que de la vérité historique et humaine. Troisièmement, on aime voir en lui le champion des fausses notes ; c'est oublier que l'on se base là sur certains concerts de la fin de sa vie qui ne représentent en rien l'immense pianiste qu'il fut.



Alfred Cortot est né dans un foyer modeste le 26 septembre 1877 à Nyon en Suisse et mort en Suisse toujours, à Lausanne le 15 juin 1962, à l'âge de 84 ans. Cela dit, il fut toujours de nationalité uniquement française, de par son père français. Sa mère veut en faire un pianiste ; ses soeurs aînées lui enseignent les rudiments du piano pour l'une, et de la théorie musicale pour l'autre. Les cinq membres de sa famille (il a encore un frère aîné) se sacrifient pour la réussite du petit dernier. En 1886, les voilà à Paris pour les études musicales du jeune Alfred. Mais rien ne prédisposait Cortot à la musique et il n'eut rien d'un enfant prodige, bien au contraire : il échoue une première fois à l'entrée au Conservatoire de Paris, doit attendre six ans avant de passer à la classe supérieure une fois admis, puis échoue encore trois fois au concours de fin d'année, avant, enfin, d'obtenir un Premier prix à l'unanimité en 1896 avec la Quatrième ballade de Chopin, après neuf ans d'études. Il a bientôt dix-neuf ans. Cela dit, il en a profité pour rencontrer deux élèves directs de Chopin (Georges Mathias le marque pour la vie), pour recevoir les conseils d'Anton Rubinstein (lui-même élève de Liszt), et se familiariser avec la réalité sociale et musicale d'un pianiste de concert en cette tout fin de XIXe siècle. Emile Décombes, son professeur au Conservatoire, avait lui-même reçu des conseils de Chopin. Mais c'est Edouard Risler (rencontré dans la classe de Louis Diémer) qui exerce sur lui la plus forte influence en l'initiant à Chopin et en particulier à ses Etudes dont il est, avec les Préludes, l'interprète privilégié.



La maison Pleyel offre un cadeau à tous les Premiers prix du Conservatoire : Alfred Cortot demande un voyage à Bayreuth. Les oeuvres de Wagner exercent sur lui une telle fascination qu'il décide incontinent de se faire chef d'orchestre. Il commencera d'ailleurs par Bayreuth où il travaille comme répétiteur et chef de choeur entre 1898 et 1901. De retour à Paris en 1902, il épouse Clotilde Bréal - fille du philologue juif Michel Bréal et meilleure amie de Madame Léon Blum - qui lui donne accès aux salons de la bourgeoisie intellectuelle où il rencontre de grandes figures politiques comme Clémenceau, Aristide Briand et Léon Blum qu'il considère comme « son meilleur ami ». La même année, il rassemble les fonds privés nécessaires pour diriger la création française du Crépuscule des dieux. Il assurera ensuite la création française du Requiem allemand de Brahms et de la Missa solemnis de Beethoven, et continuera à diriger - entre autres Parsifal - jusqu'à ce que son orchestre privé fasse faillite en 1905.



Dès lors s'ouvre devant lui une intense carrière de pianiste international, autant comme soliste que comme musicien de chambre. Entre 1906 et 1933, il formera avec Jacques Thibaud et Pablo Casals un mythique trio dont les enregistrements restent, encore de nos jours, d'une vivacité et d'une vérité stupéfiantes. Parallèlement, il s'adonne avec passion à la pédagogie au Conservatoire de Musique de Paris, formant une belle brochette de grands pianistes, à commencer par Yvonne Lefébure, Clara Haskil ou Magda Tagliaferro dans ce qui était alors la classe féminine de piano (!) du Conservatoire de Paris. Il y aura encore Dinu Lipatti, Samson François, Marcelle Meyer, Vlado Perlemuter, Reine Gianoli, Thierry de Brunhoff et d'autres encore. Arrive la Première guerre mondiale. Cortot interrompt ses activités concertantes pour se consacrer aux actions patriotiques à destination du public « resté en arrière » mais aussi, surtout, des soldats envoyés au front et autres manifestations artistiques pro bono publico. Au plan personnel, Cortot se sépare (sans divorcer) de Clotilde (qui l'accuse d'antisémitisme) pour vivre avec une jeune femme, Renée Chaine, qu'il épousera en 1946 après le décès de son épouse. Antisémite, rien n'est moins sûr si l'on en juge par son soutien à plusieurs juifs (dont Reynaldo Hahn et Marcel Moyse), ainsi qu'à des membres de la Résistance.



L'Entre-deux-guerres sera pour Cortot la période la plus fructueuse, musicalement et humainement, de sa longue carrière. Dès 1919 il fonde avec le directeur de la revue Le Monde musical (Auguste Mangeot) l'Ecole Normale de Musique de Paris, destinée à devenir un centre de rayonnement international, et attire quelques-uns des plus grands musiciens de l'époque dans son équipe pédagogique : son ancienne élève Yvonne Lefébure et Nadia Boulanger pour la classe de piano, Marcel Dupré pour l'orgue, Wanda Landowska pour le clavecin (ainsi réintroduit), Jacques Thibaud pour le violon, Pablo Casals et André Navarra pour le violoncelle, Claire Croiza, Charles Panzéra et Pierre Bernac pour le chant, Georges Enesco, Paul Dukas et Arthur Honegger pour la composition. No comment. C'est aussi dans cette période qu'il écrit la plupart de ses écrits pédagogiques et littéraires, qu'il enregistre la plupart de ses disques (150). En même temps, symbole du rayonnement culturel de la France, Alfred Cortot se produit en concert à travers la planète entière, plus particulièrement en Allemagne qu'il considère comme la patrie de la musique, où il est lui-même considéré comme le plus grand interprète de Schumann. Cet amour pour l'Allemagne le précipitera dans un long purgatoire plus tard...



...Car lorsqu'éclate la Seconde guerre mondiale, Cortot - dont on rappelle qu'il a désormais soixante-deux ans - semble ne pas vraiment saisir ce qu'il se passe autour de lui. Il se laisse embobiner par le régime de Vichy, accepte des invitations à jouer en Allemagne (certes, les invitations émanent de Furtwängler qui, lui-même, est resté en marge de toute considération politique et partisane), organise la vie musicale en tant que « chargé de mission au Secrétariat général des Beaux-Arts pour l'étude des questions relatives à l'enseignement musical, aux orchestres symphoniques et aux sociétés musicales en France ». Toutes ces activités, purement artistiques en vérité, lui seront reprochées après la Guerre par les divers comités d'épuration qui tiennent là un superbe bouc émissaire, célèbre, adulé même, donc une proie facile, d'autant plus que Cortot a soixante-huit ans à la fin des hostilités. On lui reprochera pêle-mêle d'être un collaborateur, un anti-ceci et un pro-cela, des accusations sans véritable fondement suivies de procès (il fera trois jours de prison) dont il se sortira en 1946 avec une interdiction d'exercer pendant une année... interdiction symbolique car rétroactive, de sorte qu'il peut immédiatement reprendre ses activités. Néanmoins, entre 1942 et la libération, Cortot sera concentré sur sa réforme du monde musical (création d'un « ordre des musiciens », d'un fond pour la retraite des musiciens...), autant de projets pour lesquels il avance beaucoup d'argent personnel mais qu'il n'aura pas la possibilité de tous concrétiser (comme la création de maisons des jeunes), mais qui seront repris par les directeurs de la musique qui suivront (dont Marcel Landowski).



Entre 1946 et 1958, Cortot ne cessera de donner des concerts et d'enregistrer des disques, même si ce n'est pas une très bonne idée : ses facultés digitales se sont considérablement amoindries, sa vue a catastrophiquement baissé, de sorte que ses concerts et enregistrements le montrent sous un jour bien triste. C'est de cette époque que datent les « fausses notes » qui lui collent encore à la peau, alors que l'on oublie ses superbes enregistrements et ses magiques concerts de la grande époque d'avant-guerre. Quelle injustice ! Oui, il s'est accroché à la carrière, mais il convient d'y voir à la fois une légitime fuite en avant d'un immense artiste qui veut encore prouver qu'il est entièrement pétri de musique ; par ailleurs, il doit subvenir aux besoins croissants de sa jeune épouse chroniquement malade. Ses amis tentent de le persuader de s'arrêter, il ne le fera qu'à 81 ans, après un ultime duo, sublime d'émotion (l'enregistrement est d'ailleurs disponible) avec Pablo Casals en juillet 1958 au Festival de Prades. Casals, 82 ans alors, qu'il retrouve après 25 années de brouille au sujet de l'implication politique de l'un et de l'autre. Ce sera l'une de ses dernières grandes joies, et le tout dernier concert de sa vie. Cortot se retire à Lausanne où, en 1962, il s'éteint tranquillement quelques heures après sa célèbre dernière parole dans un demi-coma, rapportée par sa femme : « la salle est-elle pleine ? », tandis qu'il tapote de la main un passage épineux d'une Etude de Chopin sur le drap de son lit de mort.



Le « style » de Cortot reste encore de nos jours sujet à bien des débats et des controverses. Les rigides puristes l'accusent de n'être point rigide ni puriste, de prendre des libertés avec la partition et de céder trop souvent aux humeurs instantanées du rubato, de l'émotion à fleur de peau, de la spontanéité du discours. La vérité est sans doute que Cortot, précisément, se laisser porter par la musique de manière naturelle et humaine, sans trop se préoccuper de la technique, non pas qu'il n'en eut pas d'ailleurs : les enregistrements de la grande époque (dont on rappellera au passage qu'ils ne font aucun usage du moindre montage : tout est capté de bout en bout, sans coupure ni sparadrap) témoignent d'une virtuosité étourdissante, mais toujours subordonnée au phrasé et à la musicalité d'abord. Il serait très injuste de ne se baser que sur les enregistrements réalisés après la Seconde guerre qui ne représentent en rien l'art de cet immense figure, immense passeur, immense esprit qui influença toute une époque (les grands pianistes russes Heinrich Neuhaus et Samuil Feinberg iront jusqu'à repenser leur technique pour suivre son sillage), toute une école, tout un pan de la pensée musicale au cours de la première moitié du XXe siècle.



© Qobuz 04/2013



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