Le single est né de pair avec la musique enregistrée, pour des raisons exclusivement techniques. Les capacités limitées du 78 tours ne permettaient guère les enregistrements au-delà de deux à trois minutes. De fait, les équivalents de nos albums, lorsqu’ils existaient, étaient non seulement onéreux, mais délicats à transporter. André Tubeuf rapporte d’ailleurs à ce sujet l’anecdote d’un résistant mélomane quittant la France de Vichy avec deux lourdes valises contenant l’intégrale du Pelléas et Mélisande de Claude Debussy. Après la Seconde guerre mondiale, les artistes commencent à concevoir des programmes plus richement développés. L'arrivée du microsillon ne nuit nullement au single qui connaît alors une période d’apogée. Associé aux grands mouvements musicaux des années 1960, il devient l’emblème d’une génération. Son déclin à partir des années 1980, tient à deux raisons. La première est éminemment technique : le remplacement du vinyle par le CD stoppe de plus en plus la production de singles. Il n’y a en effet plus de différences de taille et de poids entre un album et un titre. La seconde réside dans un changement des perspectives d’écoute : l’écoute "épicurienne" des années 1960 est progressivement délaissée au profit d’une écoute encyclopédique, basée sur la discothèque. Régulièrement annoncée, la « mort » du single n’advient pas, mais le déclin est patent : de 1980 au milieu des années 1990, le volume des ventes stagne, puis, à partir de 1995, il baisse significativement (de l’ordre de 8 % par an). Dès 2004, pourtant, la tendance s’inverse, avec une croissance soudaine de 15 %. A quoi tient ce retournement de conjoncture ? A la numérisation musicale. Les sites de vente de musique en ligne, tel que iTunes Store ou Napster, favorisent en effet grandement ce type de support : 99 % des ventes sur iTunes sont ainsi des singles. Ce retour en grâce du single apparaît également en phase avec l’individualisme de notre temps : plutôt que de faire face à des pistes imposées, l’auditeur de la décennie 2000 souhaite façonner ses propres albums ou pistes de lectures. Cette évolution surprenante suscite, pour l'heure, deux interrogations. Tout d'abord, le single des années 2000 ne se résume-t-il qu’à un simple come-back du single des années 1960 ? Apparemment non. Le nouveau single reste en effet très dépendant de l’album, qui a gardé toute sa valeur symbolique. Les trois récentes sorties de Renan Luce, M et Emilie Simon se veulent ainsi autant d’introductions à des albums plus tardifs. Le Roi des ombres de M a ainsi donné lieu à un clip vidéo volontairement obscur, afin de créer un teasing efficace pour son prochain opus, Mister Mystère. La Fille de la bande de Renan Luce suggère la tonalité générale de Repenti, destiné à paraître en septembre. Enfin, Dreamland d’Emilie Simon entretient l’attention du public vis-à-vis d’un quatrième album dont la date de parution demeure ignorée. Ensuite, un tel revirement va-t-il influencer la création musicale ? Oui, et à deux niveaux. De prime abord au niveau de conception générale de l’œuvre musicale : forger un titre d’une durée de deux à cinq minutes n’implique pas du tout la même approche qu’élaborer un opus d’une heure. De même qu’il existe des écrivains naturellement romanciers, certains musiciens s’expriment essentiellement au travers d’un album. S'adapter aux distances réduites d’un single ne sera pas, pour eux, chose aisée. Ensuite, au niveau de l’esthétique : faits pour être insérés par l’auditeur au sein de pistes de lectures extrêmement variées, le single se doit d’adopter une esthétique aussi ouverte que possible. Cette évolution favorisera sans doute les genres les plus courants, tels que la variété et la pop ainsi que les crossover et les métissages trans-genres qui tendent à se multiplier au cours de ces dernières années.
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