Voilà de nombreuses années que les projecteurs n'étaient plus braqués sur Lorin Maazel, ce grand chef d'orchestre qui vient de s'éteindre à l'âge de 84 ans. La légende du wunderboy du violon, puis de la baguette, s'était un peu émoussée pour laisser place à un grand chef-d'orchestre d'une gestique parfaite et d'une technique à toute épreuve, mais dont les dernières années passaient pour routinières, comme si l'homme s'était rigidifié.

Maintenant qu'on peut la considérer dans son entièreté, cette carrière nous paraît exceptionnelle et digne d'un conte de fées. Né, un peu par les hasards de la vie de famille, à Paris (Neuilly-sur-Seine) en 1930, Lorin Maazel est le petit fils d'un violoniste russe émigré aux Etats-Unis qui avait été premier violon au Metropolitan Opera de New York. Il a cinq ans lorsqu'il commence à étudier le piano et le violon. Il en a 9 lorsqu'il s'essaye à la direction d'orchestre à la tête d'un ensemble d'étudiants (photo ci-dessus). Deux ans plus, tard, il a 11 ans, Toscanini en personne l'invite à diriger l'Orchestre Symphonique de NBC. C'est ainsi, qu'à moins de vingt ans "Little Lorin" dirige les plus grands orchestres américains, l'Orchestre Philharmonique de New York devant 8.500 personnes, ceux de Cleveland, Philadelphie, Chicago, Los Angeles, San Francisco. Devenu adulte, Lorin Maazel poursuit des études de mathématiques, philosophie, langues et toutes les branches musicales théoriques (harmonie, composition, contrepoint). En même temps, il est violoniste à l'Orchestre Symphonique de Pittsburgh et premier violon du Fine Arts Quartet.

Il faudra attendre les années cinquante pour que ce jeune homme hyper-doué fasse des débuts très remarqués en Europe, Vienne, Berlin et Bayreuth où il est le premier chef-d'orchestre américain à être invité pour diriger Lohengrin en 1960. C'est à cette époque qu'il revient à Paris, sa ville natale, pour diriger l'Orchestre National et pour enregistrer deux albums légendaires consacrés au deux opéras de Maurice Ravel : L'Enfant et les sortilèges et L'Heure espagnole. Il en deviendra le directeur musical de 1977 à 1991.

Lorin Maazel a 30 ans et le monde entier se l'arrache. Il fait des débuts très remarqués à Salzbourg (Les Noces de Figaro), puis il prend la succession de Ferenc Fricsay, mort prématurément, à la tête de l'Orchestre de la RIAS de Berlin avec lequel il enregistre des disques qui se vendent comme des petits pains (Messe en si de Bach et Water Music de Haendel).

Lorin Maazel était un homme généreux qui aimait s'impliquer dans des causes politiques, il aimait aussi soutenir l'insertion des jeunes chefs dans la vie professionnelle. Il a créée un nombre impressionnant d'oeuvres nouvelles (John Adams, Luciano Berio, Rodion Chtchedrine, Luigi Dallapiccola, Henri Dutilleux, Hans Werner Henze, Oliver Knussen, Krzysztof Pendrecki) sans parler des siennes, comme son opéra, 1984, d'après le roman de George Orwell, accueilli avec sarcasmes et scepticisme à Covent-Garden en 2008, puis à la Scala de Milan.

Le disque nous conserve généreusement l'art de Lorin Maazel qui a réalisé plus de 350 enregistrements. De cette discographique pléthorique on retiendra surtout quelques enregistrements exceptionnels d'opéras comme Il Trittico de Puccini ou encore Luisa Miller de Verdi avec Katia Ricciarelli, Placido Domingo, Renato Bruson et Elena Obraztova. C'est dans la version intégrale de Roméo et Juliette, le ballet de Sergeï Prokofiev qu'éclatent son sens des timbres et du rythme. Ses enregistrements des Symphonies de Sibelius ont durablement marqué les esprits, de même qu'une très belle Symphonie lyrique de Zemlinsky. Vous trouverez sur votre QOBUZ un très grand nombre d'enregistrements de ce chef qui fût au sommet de son art dans les années soixante et soixante-dix.