Oceanic Feeling

Chronique

Une menace semble peser sur la sphère de l’ambient piano depuis que Nils Frahm a popularisé le genre à l’aube des années 2010. De (trop) nombreux artistes se réclamant du style ont fini par ne devenir que de pâles copies du génial producteur allemand, reprenant trait pour trait ses éléments de signature : nappes électro brumeuses, accords parfaits arpégés, grain des touches et de la pédale forte…On aurait pu craindre le pire pour la survie du piano néoclassique et sa capacité à se réinventer.
Heureusement quelques outsiders empruntent des chemins de traverse et se tiennent prêts à prendre la relève pour insuffler au genre une seconde jeunesse ! Koki Nakano est de ceux-là. Son premier album solo Pre-Choreographed  paru en 2020 chez Nø Førmat! avait jeté les bases d’un travail singulier et innovant. Avec Oceanic Feelings le pianiste japonais radicalise son propos et fait son miel de toutes les influences explorées au cours de sa formation : jazz, pop, minimalisme, contemporain…et plus si affinités.
A la première écoute, un constat qui sonne comme une évidence : Nakano n’a pas peur des silences, et dieu que ça fait du bien ! Aux oubliettes le trop-plein de pédale legato et de reverbe électronique, ceux-ci sont réduits au strict minimum. Chaque titre nous rappelle que le piano est avant tout un instrument percussif, Nakano plaque et jette ses mélodies dans du béton brut, les doigts bien enfoncés au fond du clavier. On savoure à plein régime son sens aigu du rythme, jouant des retards et des anticipations, nous cueillant par surprise avec un accord placé au quart de temps près, que ce soit dans la Mue hypnotisante et groovy ou dans Glances, robotique et délicieusement bancale. L’album est un plaidoyer pour un son authentique et brut, retouché juste ce qu'il faut par les machines. C’est ce qui donne toute leur force aux incursions de piano préparé (External Cephalic Vision), mais aussi aux harmonies jazzy (Birth Canal) plus inhabituelles dans ce registre. Mais Nakano ne renie pas pour autant sa famille musicale et propose aussi, dans une ligne plus classique du piano ambient quelques titres proprement cotonneux et aériens (Port de Bras, Hydrocode). Véritable artiste protéiforme, Koki Nakano nous offre en bouquet final Body Scan, titre particulièrement sophistiqué qui tranche avec le reste de l’opus, nous entraînant déjà vers d’autres territoires diablement excitants…Indice subliminal sur ce que sera le prochain album ? On l’espère, en tout cas on est déjà conquis. © Pierre Lamy/Qobuz