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Les séances capitales de Capitol Records enregistrées le 21 janvier 1949 par le nonette de Miles Davis : jusqu’alors, le be-bop s’est montré, certes, très innovant pour enrichir les thèmes ou le discours de l’improvisateur, mais n’a fait que reprendre les deux cadres structurels les plus employés jusqu'alors dans le jazz. L’album, baptisé Birth of the Cool, huit ans après son enregistrement, va à la fois prolonger l’œuvre du bop tout en ouvrant de nouvelles possibilités formelles.
Outre Miles Davis qui fut le maître d’œuvre du projet, trois noms peuvent à eux seuls en témoigner : Kenny Clarke, Max Roach et Gil Evans. Les deux batteurs de référence du mouvement bop officient sur l’album habituellement disqualifié par certains puristes bop de la première heure. Erreur d’appréciation grossière, corroborée par les tempos souvent rapides des morceaux (notamment le premier titre) ou et par le style bop des thèmes et solos pratiqués. Quant à Gil Evans, son importance a été déterminante : cet arrangeur, pianiste et chef d’orchestre canadien se fait connaître à New York pour ses collaborations avec l’orchestre de Claude Thornhill dans lequel il rencontrera Gerry Mulligan qui figure également sur l’album. Dans les liner notes, ce dernier évoque les années bouillonnantes de 1947/1949 chez Gil Evans : « c’était une période excitante musicalement parlant. Et tout le monde semblait graviter autour de l’appartement de Gil. On s’influençait les uns les autres, et Bird était l’influence numéro une pour nous tous ». Parmi les nombreux musiciens qui fréquentaient ce laboratoire d’idées expérimentales aux allures de pépinière, et dont l’adresse sur la 5e avenue était celle de Gil Evans, citons John Lewis et George Russell. Avec d’autres, ces deux musiciens s’orienteront quelques années plus tard dans une direction apparentée à ce que Gunther Schuller a appelé le « Third Stream ».
Au final, l’album The Birth of the Cool contient onze compositions innovantes tant au niveau du timbre orchestral, de l’articulation entre thème et improvisation, que de la construction rythmique. Il n’est qu’à écouter attentivement les premières secondes de l’album pour augurer de ce qui attend l’auditeur.
Deux compositions« Godchild » et surtout « Jeru », intriguent à plus d'un titre. Leur caractéristique commune est d’aménager une grille qui se démarque de la carrure et des mesures à quatre temps qui sont légion en jazz. Mises à part les tentatives ellingtoniennes qui s’inspiraient des constructions de forme classique (suites, concerto, symphonie…), c’est historiquement la première fois que des compositions de jazz touchent aussi clairement à la rigidité d’un cadre que l’on croyait immuable.
Très souvent, on observe un recours au nombre impair de temps ou de mesures : l’impair se loge au cœur de l’architecture de compositions de jazz : « De toute évidence, la forme solide résiste fort bien aux assauts discrets d’un Gil Evans, mais le moule est fêlé. L’irrationnel pénètre, et le rythme craque, la phrase se disloque, le sol accordique devient mouvant. Le regard rencontre partout fissurations, lézardes, fractures. Le beau tableau est trésaillé. » Voilà ce que déclarait le célèbre musicologue et critique de jazz André Hodeir à l'époque de la sortie du disque.
La question que pose André Hodeir est alors réellement fondée lorsqu’il ajoute plus loin que « La carrure est sérieusement mise en échec dans cette œuvre », car même si la forme traditionnelle est conservée, la carrure aux endroits mentionnés est effectivement malmenée. Les contours et articulations en sont modifiés, introduisant de l’asymétrie au niveau macroscopique du cadre formel. Pour en finir avec André Hodeir, un dernier élément d’inquiétude lui fait se demander : « s’il n’est pas devenu réellement possible d’exprimer du swing sur tout autre mètre que le 4/4 ou le 2/2. L’expérience n’avait jamais été faite sérieusement. Benny Carter avait enregistré un « Waltzing the Blues » entièrement à 3/4 (…) Nul, à ma connaissance, n’avait depuis lors renouvelé cet essai (…) Mais il convient de rendre hommage à Davis et Mulligan d’avoir fait en sorte que la question pût être posée. A travers « Jeru » et « Godchild » perce à tout le moins une volonté de s’affranchir de la carrure qui, de l’arrangement, pourrait bientôt déborder sur l’improvisation. »
Il peut être rassuré a posteriori : ces deux compositions ne sont jamais devenu des standards, et lorsque Mulligan rejoue « Jeru » quatre ans plus tard en compagnie de Chet Baker, tout est rentré dans l’ordre… de la carrure, à quatre temps. Avec en prime un up tempo, caractéristique stylistique significative du be-bop. Tous les repères auditifs sont revenus. Néanmoins ces séances d’enregistrement Capitol marquent incontestablement une borne dans l’histoire du jazz, et seront une source séminale d’inspiration pour des musiciens de l’époque étant ou non partie prenante dans cet album. Ils s’appuieront sur les innovations de Birth of the Cool pour donner à leur tour naissance à de nouvelles pistes de recherches musicales.
©Copyright Music Story 2018
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Miles Davis, MainArtist
(C) 2013 Cayo Records (P) 2013 Cayo Records
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Chronique
Les séances capitales de Capitol Records enregistrées le 21 janvier 1949 par le nonette de Miles Davis : jusqu’alors, le be-bop s’est montré, certes, très innovant pour enrichir les thèmes ou le discours de l’improvisateur, mais n’a fait que reprendre les deux cadres structurels les plus employés jusqu'alors dans le jazz. L’album, baptisé Birth of the Cool, huit ans après son enregistrement, va à la fois prolonger l’œuvre du bop tout en ouvrant de nouvelles possibilités formelles.
Outre Miles Davis qui fut le maître d’œuvre du projet, trois noms peuvent à eux seuls en témoigner : Kenny Clarke, Max Roach et Gil Evans. Les deux batteurs de référence du mouvement bop officient sur l’album habituellement disqualifié par certains puristes bop de la première heure. Erreur d’appréciation grossière, corroborée par les tempos souvent rapides des morceaux (notamment le premier titre) ou et par le style bop des thèmes et solos pratiqués. Quant à Gil Evans, son importance a été déterminante : cet arrangeur, pianiste et chef d’orchestre canadien se fait connaître à New York pour ses collaborations avec l’orchestre de Claude Thornhill dans lequel il rencontrera Gerry Mulligan qui figure également sur l’album. Dans les liner notes, ce dernier évoque les années bouillonnantes de 1947/1949 chez Gil Evans : « c’était une période excitante musicalement parlant. Et tout le monde semblait graviter autour de l’appartement de Gil. On s’influençait les uns les autres, et Bird était l’influence numéro une pour nous tous ». Parmi les nombreux musiciens qui fréquentaient ce laboratoire d’idées expérimentales aux allures de pépinière, et dont l’adresse sur la 5e avenue était celle de Gil Evans, citons John Lewis et George Russell. Avec d’autres, ces deux musiciens s’orienteront quelques années plus tard dans une direction apparentée à ce que Gunther Schuller a appelé le « Third Stream ».
Au final, l’album The Birth of the Cool contient onze compositions innovantes tant au niveau du timbre orchestral, de l’articulation entre thème et improvisation, que de la construction rythmique. Il n’est qu’à écouter attentivement les premières secondes de l’album pour augurer de ce qui attend l’auditeur.
Deux compositions« Godchild » et surtout « Jeru », intriguent à plus d'un titre. Leur caractéristique commune est d’aménager une grille qui se démarque de la carrure et des mesures à quatre temps qui sont légion en jazz. Mises à part les tentatives ellingtoniennes qui s’inspiraient des constructions de forme classique (suites, concerto, symphonie…), c’est historiquement la première fois que des compositions de jazz touchent aussi clairement à la rigidité d’un cadre que l’on croyait immuable.
Très souvent, on observe un recours au nombre impair de temps ou de mesures : l’impair se loge au cœur de l’architecture de compositions de jazz : « De toute évidence, la forme solide résiste fort bien aux assauts discrets d’un Gil Evans, mais le moule est fêlé. L’irrationnel pénètre, et le rythme craque, la phrase se disloque, le sol accordique devient mouvant. Le regard rencontre partout fissurations, lézardes, fractures. Le beau tableau est trésaillé. » Voilà ce que déclarait le célèbre musicologue et critique de jazz André Hodeir à l'époque de la sortie du disque.
La question que pose André Hodeir est alors réellement fondée lorsqu’il ajoute plus loin que « La carrure est sérieusement mise en échec dans cette œuvre », car même si la forme traditionnelle est conservée, la carrure aux endroits mentionnés est effectivement malmenée. Les contours et articulations en sont modifiés, introduisant de l’asymétrie au niveau macroscopique du cadre formel. Pour en finir avec André Hodeir, un dernier élément d’inquiétude lui fait se demander : « s’il n’est pas devenu réellement possible d’exprimer du swing sur tout autre mètre que le 4/4 ou le 2/2. L’expérience n’avait jamais été faite sérieusement. Benny Carter avait enregistré un « Waltzing the Blues » entièrement à 3/4 (…) Nul, à ma connaissance, n’avait depuis lors renouvelé cet essai (…) Mais il convient de rendre hommage à Davis et Mulligan d’avoir fait en sorte que la question pût être posée. A travers « Jeru » et « Godchild » perce à tout le moins une volonté de s’affranchir de la carrure qui, de l’arrangement, pourrait bientôt déborder sur l’improvisation. »
Il peut être rassuré a posteriori : ces deux compositions ne sont jamais devenu des standards, et lorsque Mulligan rejoue « Jeru » quatre ans plus tard en compagnie de Chet Baker, tout est rentré dans l’ordre… de la carrure, à quatre temps. Avec en prime un up tempo, caractéristique stylistique significative du be-bop. Tous les repères auditifs sont revenus. Néanmoins ces séances d’enregistrement Capitol marquent incontestablement une borne dans l’histoire du jazz, et seront une source séminale d’inspiration pour des musiciens de l’époque étant ou non partie prenante dans cet album. Ils s’appuieront sur les innovations de Birth of the Cool pour donner à leur tour naissance à de nouvelles pistes de recherches musicales.
©Copyright Music Story 2018
À propos
- 1 disque(s) - 12 piste(s)
- Durée totale : 00:35:28
- Artistes principaux : Miles Davis
- Maison de disque : Cayo Records
- Genre : Jazz
(C) 2013 Cayo Records (P) 2013 Cayo Records
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